Plumorama

Plumorama : Audrey Alwett

 

Certains entretiens se suffisent à eux-mêmes, et cette très longue interview d’Audrey Alwett devrait achever de vous convaincre qu’être autrice aujourd’hui suppose de se heurter souvent au sexisme et à la mauvaise foi (effarant autant qu’éclairant). Cette interview devrait aussi vous convaincre de la passion littéraire qui l’anime et des très beaux projets qui se préparent ! Merci à Audrey Alwett et à très bientôt !


 

What about a dragon ?

 

Bonjour Audrey Alwett !

 

Autrice des délicieux Poisons de Katharz, directrice de la collection Bad Wolf aux éditions ActuSF, scénariste de bande-dessinée et blogueuse engagée, merci d’avoir accepté de répondre à cette interview !

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Audrey Alwett

 

Oui, depuis dix ans environ, mais en grande partie grâce à la bande-dessinée.

 

J’ai commencé par être nouvelliste (ce qui ne paie pas vraiment), puis je suis arrivée à la bande-dessinée presque par accident. J’envoyais des mini-scénarios à Lanfeust Mag, qui avait publié certaines de mes nouvelles, et Christophe Arleston m’a mis le pied à l’étrier en me faisant coécrire avec lui Sinbad. Je n’ai plus jamais quitté la bande-dessinée après ça.

 

Toutefois, ne faire que de la BD ne me sastisfaisait pas et je me suis diversifiée avec les années. J’ai écrit un certain nombre d’albums jeunesse, des articles, fait un peu de dessin-animé… Et enfin, des roman. Je crois que c’est dans ce domaine que je me sens la plus à l’aise. Tous les auteurs ont leur medium favori, même s’ils ont plusieurs casquettes.

 

WAAD

 

Est-ce que vous avez l’impression que c’est devenu plus dur ces dernières années ?

 

Audrey Alwett

 

Oui et non.

 

Pour moi, c’est plus facile. Cela est dû au fait que je suis à un point de carrière où les choses sont plus faciles. La série Princesse Sara marche très bien, et grâce à elle, j’ai le luxe de pouvoir développer mes projets et d’être dans une meilleure position pour négocier.

 

Néanmoins, si je devais démarrer maintenant, ce serait beaucoup plus dur qu’il y a dix ans, en effet. Je vois beaucoup de collègues très talentueux dans le pétrin financier, et même si j’essaie de les aider à mon petit niveau (en leur recommandant des contacts, par exemple), ce n’est pas suffisant.

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Audrey Alwett

 

Très ponctuellement. Je m’en débarrasse finalement assez vite. Sur les Poisons de Katharz, on m’a parfois reproché une proximité avec les œuvres de Pratchett. Cela m’a d’abord fait douter avant que je réalise que, puisqu’on dit son style inimitable, je pouvais le prendre comme un compliment. Au final, peut-être que dans dix ans mes influences se mêleront mieux, mais j’ai déjà l’impression d’écrire des textes personnels, où je défends des idées humanistes qui me sont propres.

 

L’ironie, c’est que je suis de plus en plus satisfaite de la qualité de ce que j’écris, alors que j’ai de plus en plus le trac à chaque fois qu’un livre est sur le point de paraître en librairie. Pour le dernier Princesse Sara, j’en étais littéralement arrivée à des crises de vomissement, même s’il me semble qu’il est le plus abouti de la série.

 

Pour en revenir au syndrôme de l’imposteur, j’avoue que c’est le genre de questions que j’évite de me poser. Le doute peut vite me perdre. Je passe déjà un temps incroyable à remettre mon labeur cent fois sur le métier et à me demander « est-ce que c’est assez bon ? Comment puis-je améliorer ce texte ? ». Ça me semble plus constructif que de partir du principe qu’on y arrivera jamais. De toute façon, je n’ai jamais cru au talent. Je crois simplement au travail.

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Audrey Alwett

 

Qu’est-ce qu’un professionnel ? Est-ce que c’est quelqu’un qui vit de sa plume ? Ou quelqu’un qui a atteint un très haut niveau ? Jeanne-A Debats se dit amatrice, or je parlerais volontiers d’un niveau professionnel en ce qui la concerne. Si on doit s’en tenir à la question de la qualité, j’ai le même respect pour mes collègues amateurs, auto-édités et professionnels.

 

Ceci dit, quand je lis un roman, je suis capable de percevoir l’expérience de l’auteur. Un premier roman est le plus souvent reconnaissable, en ce qu’il contient d’importants défauts de narration que des auteurs plus expérimentés ne commettent généralement plus. Mais ce n’est pas une règle absolue non plus.

 

Pour moi, l’écriture est une chose qui s’apprend et toute personne peut se professionnaliser.

 

WAAD

 

En ce moment, il y a en France un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous êtes concernée par ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ? (par exemple parce que vous ne considérez pas l’écriture comme un revenu)

 

Audrey Alwett

 

Je suis non seulement syndiquée mais aussi membre du comité de pilotage du Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs (SNAC). Je suis donc très positionnée pour la défense des droits des auteurs. Même si depuis un an et demi j’ai moins de temps à y consacrer qu’avant, j’ai été très engagée dans le combat du RAAP. Ces derniers mois, on a pas mal discuté avec Samantha Bailly, et je suis ravie de voir quelqu’un d’aussi jeune et brillant porter la parole des auteurs.rices d’une manière médiatique jamais vue auparavant. Le problème est que ce sont des causes qui usent très vite, car elles nécessitent une énergie folle. Alors tiens bon, Samantha !

 

Je suis aussi membre de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence, ne serait-ce que pour éviter de laisser ma place à une personnalité plus discutable.

 

Je fais également partie du collectif des Créatrices de BD contre le sexisme, dont j’ai rédigé l’article suivant : https://bdegalite.org/le-plafond-de-verre-cest-pas-moi-cest-les-autres/

 

Enfin, tous les ans, je milite auprès de mes collègues pour qu’ils s’inscrivent à la SOFIA ou à l’ADAGP, pour une meilleure représentation et un plus grand poids. En somme, je crois qu’on peut dire que je suis une autrice plutôt engagée.

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’autrice ?

 

Audrey Alwett

 

Plein. Tout le temps. Dans la science-fiction et la fantasy, c’est plus rare tout de même. Même si dans ces milieux, comme en BD ou en jeunesse (où de récentes polémiques ont pas mal agité les réseaux), mieux vaut être un homme si vous voulez avoir une chance de décrocher un prix. Les statistiques sont écrasantes et malheureusement, quand on doit examiner la qualité des sélections sous le nez, il y aurait à redire… Je vois beaucoup de collègues autrices laissées sur le carreau avec leurs petits chefs-d’oeuvre quand des livres très inaboutis, mais écrits par des hommes, paradent tranquillement dans les sélections. Je ne dis pas qu’il est impossible d’être négligé si on est un auteur homme talentueux, loin s’en faut, mais dans le cas des autrices, c’est systémique.

 

En plus, ce n’est que la partie visible de l’iceberg. En ce qui me concerne, j’ai vécu quelques situations vraiment pénibles. Par exemple, je suis une grande passionnée de l’écriture du Frankenstein et de l’été 1816 à la villa Diodati. J’ai fait des années de recherches sur la question, rassemblé une documentation énorme et je voulais scénariser un roman graphique sur le sujet. J’avais un angle qui me semblait vendeur et une hypothèse littéraire inédite. Je l’ai donc proposé à mon éditeur qui m’a répondu que si le projet valait le détour, il ne me voyait pas le traiter moi-même. En effet, il fallait, selon lui, « avoir les épaules solides intellectuellement ». Il a ensuite évoqué un collègue plus apte selon lui à traiter un sujet aussi complexe. La blague, c’est que scénaristiquement, ce collègue est loin d’être une pointure. En plus, il a une licence en arts plastiques, quand j’ai un master en littérature… Mais il a un phallus et pas moi. À l’époque, ce refus et surtout son explication m’avaient tellement désarçonnée que j’ai en effet abandonné le projet. Aujourd’hui, je vais le reprendre.

 

Une autre anecdote ? À la sortie du premier tome de Princesse Sara, j’avais vingt-six ans tout juste sonnés. Un journaliste a demandé à m’interviewer en festival. On se voit, il encense mon travail. Je suis un peu impressionnée, car c’est l’une de mes toutes premières interviews. À mesure de la discussion, le journaliste se fait de plus en plus familier, rapproche sa chaise et finit par poser sa main sur ma cuisse. De manière très délicate, je lui fais comprendre que ça ne va pas être possible et que je suis déjà en couple. À la fin de l’interview, lorsqu’il me demande mon numéro de téléphone, je le renvoie vers mon attachée de presse et m’enfuis. Verdict : on ne trouvera jamais trace de cette interview nulle part, mais dans sa critique, il a assassiné ma BD sous tous les angles possibles, en lui prédisant un échec commercial retentissant. On a pourtant franchi cette année la barre des 250 000 livres vendus pour cette série.

 

Des anecdotes comme ça, j’en ai vécu des dizaines. Et certaines de mes collègues autrices ont pire, bien pire, à raconter. La violence peut parfois aller très loin. Il ne faut pas imaginer que ce milieu est épargné sous prétexte qu’il a l’air sympathique extérieurement.

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?

 

Audrey Alwett

 

J’ai nettoyé mon planning de la BD pour pouvoir consacrer plus de temps à l’écriture des romans qui sont beaucoup plus chronophages. En BD, tout est segmenté : 46 planches, divisées par cases. Cela permet de travailler par séquences grâce au storyboard. En outre, il y a une interdépendance avec le dessinateur. Pour les romans, par contre, j’ai besoin de travailler par périodes. Pour Magic Charly, par exemple, j’ai passé beaucoup plus de temps que je ne l’aurais voulu sur ce projet et ça s’est parfois télescopé avec d’autres travaux. À chaque fois, me remettre dans le bain me prend un jour ou deux, c’est la raison pour laquelle j’évite de trop découper mes sessions roman.

 

Sinon, pour la question des horaires… J’ai mon bureau à Gottferdom où je me rends chaque jour vers 8h30. Je passe généralement la matinée à traiter des questions administratives et à rassembler de la documentation. L’après-midi est consacré à l’écriture jusqu’à 18h30. Parfois, je m’y remets en soirée. Avant, je ne prenais jamais ni week-end, ni vacances, mais depuis que je suis devenue mère, je suis un peu obligée de m’y plier.

 

WAAD

 

Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Audrey Alwett

 

Je pense que naturellement je suis scripturale, mais grâce à la BD je suis devenue structurale. Je me suis aperçue que plus je construisais mes textes, meilleurs ils étaient. Je ne pense d’ailleurs pas qu’on puisse écrire un roman ambitieux en étant totalement scriptural dans la mesure où les strates et les niveaux de lecture se prévoient. De toute façon, il reste une grande part de liberté quand on passe à l’écriture et ça permet le plus souvent d’améliorer nettement la qualité de ses idées.

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Quels sont vos prochains projets ?

 

Audrey Alwett

 

Ces derniers temps, on entend beaucoup dire qu’il faut séparer l’homme de l’œuvre. Je ne suis pas d’accord avec ça. Une œuvre n’est pas détachable de son auteur. Si l’on prend comme exemples JK.Rowling ou Terry Pratchett, leur profond humanisme imprègne leurs romans.

 

D’une manière générale, je pense que dès qu’une œuvre est un tant soit peu profonde, quelque chose y rampe. Je suis toujours à l’affût de ce quelque chose et quand je lis un livre, je sais si je voudrais rencontrer l’auteur ou non, s’il s’agit de quelqu’un d’éthiquement positionné ou non. Je ne fais pas la part des choses entre l’emballage et le fond. Je ne suis pas allée au bout de Miss Peregrine et les enfants particuliers que j’ai trouvé pro-arme, patriarcal au possible et d’autres cochonneries encore. Pourtant, j’ai vu le film et je trouvais qu’il y avait un très chouette univers à la base, mais ça n’est pas suffisant. Ce qui est justement intéressant dans ce roman, c’est que l’éthique y est bancale autant que la structure. Pour moi, c’est la marque indubitable d’un auteur qui ne réfléchit pas assez.

 

Pour répondre à la question des prochains projets, je travaille actuellement sur un roman dans le même univers que Les Poisons de Katharz et qui s’appellera L’Alchimiste au beurre. Je suis aussi depuis un an et demi sur un très gros projet transmedia (roman, BD, dessin animé), Magic Charly, qui est, semble-t-il, en passe de se concrétiser…

Un commentaire

Répondre à Zina Annuler la réponse