Plumorama : Roznarho
Salut les dragonautes !
On se retrouve aujourd’hui avec l’interview de Roznarho qui a généreusement accepté de répondre à nos questions (que vous devez commencer à connaître !). Merci à elle et à très vite !
What about a dragon ?
Bonjour Roznarho !
Vous êtes l’autrice, aux éditions l’Homme Sans Nom, de Rêves d’Utica, une fable mythologique transhumaniste, dont l’intrigue se déroule en Afrique.
Merci donc d’avoir accepté de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !
Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?
Roznarho
Bonjour ! Merci pour cette interview !
Alors, non, je ne vis pas de ma plume. Je n’ai publié qu’un seul roman à ce jour, ce qui n’est pas suffisant pour commencer à parler sérieusement de carrière.
WAAD
Est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous aimeriez bien ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.
Roznarho
Je n’ai eu qu’une vision extérieure de la situation pendant pas mal d’années. Vu de l’intérieur depuis deux ans, je dois bien avouer que cela devient difficile pour moi d’envisager de devenir une professionnelle de l’écriture. Comme je viens d’obtenir mon doctorat, je suis actuellement à la recherche d’un poste fixe pour assurer le quotidien avec un salaire mensuel. Je ne laisse pas tomber l’écriture pour autant, mais les revenus en découlant vont devenir très secondaires. La grande différence entre écrivain professionnel et simple auteur de romans.
WAAD
Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?
Roznarho
Cela me parle, en effet, mais pas forcément pour l’écriture. J’y ai été beaucoup plus confrontée durant mes études et ma jeune carrière de chercheuse, ne me sentant jamais à la hauteur, n’ayant jamais le niveau requis pour passer d’un domaine de recherche à l’autre. Pour ce qui est de la création en elle-même, et comme j’ai beaucoup d’artistes dans ma famille, je sais à quel point on peut douter de tout et en permanence. L’écriture est avant tout un travail et je pense faire le boulot honnêtement et avec cœur. Ce n’est pas grave si je ne produis pas d’œuvre au sens noble du terme. Si cela plaît à mes pairs, tant mieux, vous m’en verrez ravie !
WAAD
Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?
Roznarho
Un auteur est quelqu’un qui a écrit un livre ou autre chose. Un écrivain est quelqu’un dont le métier est d’écrire. Il y a beaucoup d’auteurs et peu d’écrivains. Pour être un vrai professionnel, il faudrait pouvoir se consacrer entièrement à l’écriture et vivre de sa plume, c’est-à-dire des ventes naturelles de ses productions.
WAAD
En ce moment, il y a un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ? (par exemple parce que vous ne considérez pas l’écriture comme un revenu)
Roznarho
Pas de livres sans auteurs ! Toutefois, je ne pense pas qu’il faille uniquement taper sur les autres acteurs de la chaîne du livre, éditeurs, diffuseurs, libraires, etc. Les temps sont durs pour tout le monde, avec notamment des mutations en termes de supports (numérique) et de modes de consommation (Internet). En revanche, une meilleure répartition des gains en fonction des frais réels de chacune des parties serait à envisager. Je pense qu’il est aussi très important de sensibiliser les consommateurs, c’est-à-dire les lecteurs, à la problématique. Les gens se l’imaginent très bien pour l’alimentation, en privilégiant les petits producteurs, les circuits courts, les produits équitables, etc. Chaque personne peut avoir un impact sur la vie des auteurs. Maintenant sensibilisée à la problématique des revenus des auteurs, je fais beaucoup plus attention à mes achats de livres, ce qui influence aussi mes lectures et me fait découvrir des merveilles !
Je suis affiliée à la Charte depuis cette rentrée 2017, ce qui me permet d’en savoir plus sur le monde du livre.
WAAD
Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’autrice ?
Roznarho
En tant qu’individu, il est vrai que je suis devenue un peu désabusée. C’est très difficile de faire découvrir son travail. C’est pour cela que je préfère avoir un autre métier à côté. En tant que femme, c’est assez compliqué de faire comprendre qu’on écrit pour les adultes. Il semblerait que les femmes soient dédiées à la littérature pour la jeunesse, reproduisant un schéma patriarcal enfermant et pourtant bien connu. Une femme ne peut pas non plus écrire de la science fiction, vu que les femmes ne sont pas scientifiques par essence. Un roman dont le protagoniste est une fille a forcément été pour les filles, plus que pour les garçons. D’après mon expérience sur le terrain, il est bien triste de constater que ces idées reçues sont beaucoup plus souvent véhiculées par les femmes elles-mêmes que par les hommes.
WAAD
Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?
Roznarho
Malheureusement pour tout le monde, je suis l’indiscipline incarnée ! Je passe mon temps à picorer, à écrire des idées, à les développer, mais beaucoup de projets restent en plan. Toutefois, quand j’ai décidé de finir quelque chose, je suis capable de m’y consacrer pleinement pendant des semaines. Il est important de pouvoir écrire plusieurs jours d’affilée afin d’augmenter la cadence d’écriture. Une fois que l’on est dedans, il faut poursuivre l’effort à tout prix. Je suis plus efficace le matin pour la documentation, à partir de 17 h pour l’écriture, jusqu’à ce que le sommeil arrive, ce qui peut pousser à tard dans la nuit. Pour mon premier roman, j’avais eu la possibilité de bloquer du temps. Pour le deuxième, c’est assez compliqué pour le moment. La thèse étant terminée, je passe désormais beaucoup de temps à ma recherche d’emploi.
WAAD
Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?
Roznarho
Bonne question ! Je préfère largement planifier, on a moins de mauvaises surprises en rédigeant le scénario complet. Dans ma façon de travailler, il y a aussi une grosse phase de documentation en amont, incluant lectures, cartographie, cours spécifiques (je suis une adepte des MOOC !), vidéos, etc. Après, en cours de rédaction, il me manque toujours énormément d’éléments que je vais rechercher pour ajouter du crédit à l’histoire. Les personnages, en revanche, ont souvent leur vie propre. Leur nom tombe souvent par hasard, et ce qui leur arrive entre deux actions majeures du scénario dévie souvent de l’idée initiale ! Les petits plaisirs de l’écriture, en somme.
WAAD
Rêves d’Utica est écrit comme un récit d’aventure mais aussi comme un roman métaphorique. Comment travaille-t-on les niveaux de lecture ? (d’ailleurs, le travaille-t-on ?)
Roznarho
Indiscipline quotidienne ne signifie pas manque d’organisation. Pour ce roman précis, j’ai réalisé deux tableaux : l’un avec les différents niveaux de lecture empilés (références littéraires, références SF, science pure, rites de passages incluant le transhumanisme, etc.), l’autre faisant état de l’évolution de chaque personnage en fonction de l’avancée du scénario. Ces outils m’ont permis de faire progresser l’histoire en tenant compte de ces deux axes simultanément pendant la phase d’écriture.
WAAD
Vous avez choisi, pour ce roman comme pour le prochain, de situer votre récit en Afrique. Est-ce une manière de rompre avec les codes de la SF ou simplement de mettre à profit votre expérience de terrain ?
Roznarho
Mon expérience africaine ne m’a pas laissée indemne. Cela fait plus de dix ans maintenant que je travaille sur l’histoire de l’Afrique, la place des femmes, les modes de vie, les impacts humains sur l’environnement. Il y a déjà des romans imaginaires prenant place en Afrique, ce n’est donc pas nouveau. En revanche, ils sont peu nombreux. De même, les auteurs africains de science fiction gagneraient à être plus connus de ce côté de la Méditerranée. C’est donc aussi militant de ma part de parler du passé et du futur de l’Afrique en mettant à profit mes connaissances. Le déclic de l’écriture de Rêves d’Utica est d’ailleurs venu lors d’une mission au Cameroun. Il fallait que je raconte l’histoire de toutes ces personnes.
WAAD
Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Scarlett sortira finalement en février je crois ?
Roznarho
Pour parler un peu de Scarlett, il s’agira d’un thriller d’anticipation se déroulant à Johannesburg, abordant les questions du racisme et de la violence faite aux femmes. Le ton sera volontairement très décalé, pour alléger le propos. Il est actuellement en cours d’écriture, mais je ne sais pas du tout quand il sortira. Je suis encore en déplacement jusqu’à la fin de l’année 2017, avec un déménagement lointain imminent. Les cartons sont prêts. Il ne reste plus qu’à retrouver un peu de stabilité pour terminer le roman. Pas d’inquiétude, j’y travaille ! 😉
Merci à vous en tout cas !