« C’est un demi-cadratin, ça, non ? », ou comment se passe l’examen d’un texte chez Sillex.
(OK, c’est un titre qui surfe sur le cadratin-gate, mais on m’a forcé)
Lorsqu’on envoie son manuscrit (ou sa nouvelle) à un éditeur, on ressent parfois ce qu’un voyageur peut ressentir en laissant son bagage disparaître sur le tapis roulant : un sentiment confus que tout est normal combiné à l’inquiétude irrationnelle de ne pas trop savoir ce qui se passe derrière. Et quand on ne sait pas, souvent, on s’invente des petits rituels (les chaussettes sur les côtés pour éviter que la valise soit déséquilibrée, une double étiquette « au cas où », etc.) au taux de réussite assez aléatoire.
En réalité, si on avait accès à l’arrière-boutique, on verrait facilement ce qui peut poser problème ou non, et éventuellement ce qu’on pourrait faire pour améliorer tout ça, et c’est ce que j’ai envie de vous raconter aujourd’hui. Evidemment, ça ne concerne que notre manière de fonctionner, mais j’espère que ça vous éclairera tout de même ! (et que ça vous rassurera !)
I – Léger avant-propos.
Dans la suite de l’article, je vais beaucoup évoquer la subjectivité du choix de l’éditeur, et vous aurez l’impression que je trouve que c’est très bien que l’éditeur soit très subjectif. Plot twist : c’est parce que c’est le cas.
Bien sûr qu’en tant qu’éditeur je suis sensible à des éléments qui ne sont pas liés au texte lui-même (un sujet qui ne m’intéresse pas, une thèse qui heurte mes valeurs, etc.). Mais mon métier consistant à défendre de toutes mes forces un récit, il est quand même largement préférable pour l’auteur ou l’autrice que j’y adhère !
Donc, oui, le milieu de l’édition est un milieu artistique, et il est normal que tout n’y soit pas parfaitement objectif dans les choix. (je ne parle évidemment pas de contrat d’édition ou de sérieux dans les rapports professionnels)
Par ailleurs, vous verrez que je ne distingue pas les bons et les mauvais manuscrits. La raison est simple : je crois que, dans l’absolu, tout manuscrit est bon s’il est suffisamment travaillé. Cependant, je crois aussi que tout manuscrit ne demande pas le même investissement en temps, et c’est surtout ce point qui fait basculer la décision éditoriale.
II – Bon, on regarde quoi alors ?
Lorsqu’on reçoit la valise le texte, notre première considération va pour la base de notre ligne éditoriale. Le texte est-il bien un tome unique ? S’inscrit-il dans les genres de l’imaginaire ? Bref, est-ce que c’est un texte pour nos lecteurs et lectrices ou est-il pour quelqu’un d’autre ?
La ligne éditoriale n’est pas là pour le plaisir d’écarter des textes mais simplement pour faire en sorte que ceux que l’on publie soient lus par des lecteurs et lectrices qui ont de fortes chances de les aimer.
Une fois cette vérification effectuée, on se tourne vers le synopsis (s’il est joint) et on regarde à quoi ressemble le récit dans son ensemble et les grands thèmes qu’il paraît aborder. C’est une étape importante, parce que là encore, ça s’inscrit dans une logique de ligne éditoriale. Bien sûr qu’un bon récit est essentiel, mais un bon récit qui défendrait une thèse à laquelle nous ne souscrivons pas ne serait pas pour nous. A l’inverse, un sujet qui nous émeut peut contrebalancer certaines faiblesse narratives.
Concrètement, une structure et une thématique qui ne me plaisent pas (moralement j’entends) sont probablement déjà suffisants pour que je me fasse un avis sur la publication.
Enfin, évidemment, on regarde le texte lui-même, et notamment l’intrigue, les dynamiques de personnages et le style (« Bah, euh, oui, mais vous pourriez regarder quoi d’autre en même temps ? »). Le rythme, les répétitions, les dialogues, tout ça est assez secondaire dans un premier temps (évidemment, ça dépend du volume, mais vous avez l’idée).
Et puis, quelque part au milieu de tout ça, on regarde quand même le message d’accompagnement, et on écarte les textes accompagnés de menaces ou d’insultes (oui, il y en a parfois).
III – Et la forme ?
Bon, et la mise en page et l’orthographe dans tout ça ?
Assez simplement dit : on s’en moque à 90%. (« Quoi, 90% seulement ? Mais ça veut dire que vous êtes… vous êtes… des méchants ! »).
J’explique.
Lorsque vous écoutez de la musique live (parfois même en studio), il arrive qu’il y ait des fausses notes, et ce n’est pas dramatique en soi. Ce n’est pas de nature à vous gâcher l’expérience. Mais imaginez que le concert commence sur une ou plusieurs fausses notes : votre impression de départ n’est pas au top, si ? Des fautes dans l’orthographe et la typographie, c’est un peu ça : une éventuelle mauvaise première impression, qui peut tout à fait être (et le plus souvent est) compensée par le texte et ses qualités narratives.
Dire qu’on parvient à en faire entièrement abstraction serait un mensonge mais en faire un critère de sélection à part entière (alors que la correction fait partie de nos missions) serait une aberration.
Du coup, assez naïvement, je vous dirais que si votre texte suit les règles, ça supprime un risque d’a priori négatif, donc si vous le pouvez et que vous les connaissez, faites-le. (ce qui vaut aussi bien pour l’orthographe que pour la typographie) Et si on vous refuse un texte pour ça, fuyez l’éditeur dans tous les cas.
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J’espère en tout cas que cet article vous aura plu et je vous dis à très vite pour un autre article ou sur notre site !