Plumorama

Plumorama : Neil Jomunsi

Salut les dragonautes !

Neil Jomunsi nous a fait le plaisir d’accepter l’invitation dans nos colonnes.


What about a dragon ?

Bonjour Neil Jomunsi !

Merci d’avoir accepté de prendre le temps de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !

Vous êtes auteur, nouvelliste, initiateur du projet Bradbury en 2013, que vous reproduisez cette année – pour l’heure avec beaucoup de succès – mais également éditeur et créateur de Walrus.

En parallèle, vous partagez sur les réseaux sociaux et votre blog, Page 42, vos humeurs et opinions intéressantes et tranchées sur la culture du livre et de l’édition.

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon et je sais que vous y avez déjà répondu : est-ce que vous vivez de votre plume ?

Neil Jomunsi

Non, et ce n’est pas nécessairement mon souhait. Même si les auteurs et autrices ont tout à fait raison de revendiquer de meilleures conditions de rémunération, je crois qu’il faut aussi savoir se ménager un peu de liberté financière « extérieure » à l’écriture. C’est une condition à mon sens indispensable pour conserver sa liberté de création. Même s’il m’arrive bien sûr parfois d’en avoir envie… En revanche je crois beaucoup aux financements alternatifs, du genre Tipeee, Ulule, etc, pour les personnes qui créent sur internet. C’est sur cela que j’appuie en priorité ma démarche.

WAAD

Récemment, vous avez pris position pour une création libre, détachée des logiques éditoriales. Pour autant, vous indiquiez également avoir déjà envisagé vivre de l’écriture. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui vous poussent à ce revirement ?

Neil Jomunsi

C’est simple : je ne crois pas que l’industrie éditoriale soit la seule voie possible si l’on souhaite vivre de sa plume – et j’ai presque envie de dire, au contraire. Les logiques de surproduction et la disparition progressive des à-valoir sont des arguments qui militent en faveur d’une indépendance accrue des auteurs et autrices vis à vis de l’industrie qui exploite leur travail. Donc il n’y a pas de revirement à mon sens : en revanche, il y a inventions, réflexions, tentatives d’explorer de nouvelles voies.

WAAD

En ce moment, on entend également beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ? [NDLR : a priori, cette question l’a taraudé puisqu’il y consacre un billet sur son blog]

Neil Jomunsi

Oui et non. Ou alors j’arrive par moment à le dépasser, de par mes engagements. Je pense qu’on ne s’en débarrasse jamais vraiment, quels que soient les honneurs auxquels on accède : c’est juste une fuite en avant. Alors il ne sert à rien de s’en lester.

WAAD

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

Neil Jomunsi

C’est une personne qui écrit. Je ne fais pas de distinction entre « professionnel » et « amateur » : c’est juste une façon de mettre certaines personnes de côté, sous prétexte que ces personnes ne seraient pas « assez bien » ou « assez talentueuses ». Donc être un auteur, une autrice, c’est simplement écrire, qu’il s’agisse d’une nouvelle ou de cinquante romans. Mieux, je pense que nous sommes tous et tous des auteurs et des autrices. Donc ce qu’il faut pour être « professionnel », je ne sais pas. Si je considère la situation dans l’industrie, il faut savoir fermer sa gueule, ne pas critiquer la main qui vous nourrit, se contenter de miettes, ne pas être trop pressé d’être payé, quand on l’est, et déléguer tous ses droits artistiques à des structures commerciales.

WAAD

Ces derniers temps, il y a en France, et un peu partout en Europe, un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ?

Neil Jomunsi

Encore une fois, oui et non. Je trouve cela bien qu’on considère enfin les auteurs et les autrices comme ce qu’ils/elles sont, à savoir des travailleurs précaires. Là où ces personnes travaillent, il faut de meilleures conditions de travail. Et pas seulement dans l’édition, mais partout : la lutte contre la précarité, c’est la lutte contre toutes les précarités. Pour ma part, je ne veux pas m’attacher de trop près à l’industrie, et surtout pas m’en rendre dépendant. Je considère donc qu’il est du devoir des gens qui créent, à l’heure de la libre diffusion sur internet et de l’impression à la demande, de se poser la question de leur dépendance vis-à-vis des industries.

WAAD

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?

Neil Jomunsi

Une chose : que les revenus de l’auto-édition et du mécénat ne soient pas pris en considération dans le calcul de l’assiette de l’Agessa. Les auteurs et autrices indépendant·e·s devraient avoir accès à la Sécurité sociale au même titre que les autres.

WAAD

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ? J’imagine que pour s’astreindre au projet Bradbury il faut une certaine hygiène de plume ?

Neil Jomunsi

Pas de rythme défini, mais oui, une sorte de concentration forcée : se mettre à sa table de travail et n’arrêter que lorsqu’on a atteint le but que l’on s’était fixé. Je travaille mieux le matin. En général, je me pose sur les coups de 9h et j’arrête vers 13h. Le reste de la journée est consacré à d’autres tâches.

WAAD

Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

Neil Jomunsi

Je suis dans ce cas un employé polyvalent, ou plutôt je ne fais ni l’un ni l’autre. Je laisse l’idée vivre, prendre corps d’elle-même, et je prends des notes au fur et à mesure. Le Projet Bradbury est un marathon, une performance sportive, et je n’ai pas d’autre choix que celui de produire une nouvelle par semaine. Mais quand j’écris un roman, cela prend beaucoup de temps. Je réfléchis très longtemps, je laisse les idées tourner en tâche de fond dans mon cerveau, pendant des mois, des années parfois, avant de commencer l’écriture. Paradoxalement, celle-ci est assez rapide ensuite. Je suis une trame générale, mais je me laisse toujours le plaisir de me laisser surprendre par les personnages.

WAAD

Vous évoquez souvent la fixation dans le temps de l’artiste à travers l’œuvre. Est-ce qu’écrire c’est se confronter à la fatalité ?

Neil Jomunsi

Sur ce sujet, je suis du côté zen, shintoïste même : il y a de la beauté dans les choses qui s’érodent, qui sont éphémères, et que l’on finit par oublier. Je suis presque tenté de ne plus signer mes histoires, de les laisser vivre comme des entités indépendantes. De nous, il ne restera presque rien. Peut-être seulement quelques histoires. Et la perspective de n’avoir aucune importance et d’être vite oublié me réjouit au plus haut point.

WAAD

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Vous disposez d’un Tipeee je crois ?

Neil Jomunsi

Oui, je l’ai mentionné plus haut : Tipeee est une plateforme de financement collectif qui permet à tout le monde de soutenir mensuellement les artistes du web que l’on aime. Je suis très attaché à ce site, qui me permet à mesure qu’il grandit de gagner en indépendance, ce qui veut dire plus de textes libérés, plus de podcasts, de vidéos, etc. Je suis pour la libre circulation de l’art, et Tipeee est pour moi une reconnaissance de la validité de ce postulat. Je prends chaque soutien comme un « merci ». Cela force au respect et à l’humilité.


Merci à vous en tout cas !

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