Plumorama : Julien Hirt
Les dragonautes !
C’est maintenant Julien Hirt qui répond à nos questions dans le cadre du projet Plumorama, et nous sommes très heureux de bénéficier de son point de vue intéressant !
What about a dragon ?
Bonjour Julien Hirt !
Vous êtes l’auteur de La Ville des mystères aux éditions du Héron d’argent, un roman d’aventures steampunk où le voyage onirique fascine autant qu’il inquiète.
Merci donc d’avoir accepté de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !
Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?
Julien Hirt
C’est amusant parce que mon premier réflexe était de répondre « non », sans hésiter. Après tout, je ne suis l’auteur que d’un seul livre publié, et non seulement le fruit de ses ventes ne représente qu’une petite somme d’argent, avec laquelle je serais bien en peine de vivre tout seul, sans même parler de ma famille, mais en plus, les différents déplacements qui vont de pair avec la promotion de mon roman font qu’au final mon activité de romancier me coûte plus qu’elle ne me rapporte (en tout cas du strict point de vue financier).
Cela dit, dans un deuxième temps, j’ai réalisé qu’après tout, je suis journaliste et animateur radio, et qu’en réalité, j’écris à peu près constamment pour mon travail : des revues de presse, billets d’humeur, chroniques, interventions, canevas d’interviews. Donc d’un certain point de vue, oui, je vis de ma plume, mais je ne vis pas de ma plume de romancier.
Je pense que, même si mon cas ne se veut pas exemplaire, cela rejoint la situation de très nombreux auteurs, qui parviennent à joindre les deux bouts en écrivant d’une autre manière, en-dehors de leur œuvre créative : rédactions de courriers, de discours et autres activités d’écrivain public, corrections, animations d’ateliers, blogs, modération de pages Facebook, etc… Vivre de sa plume, bien souvent, c’est tout autre chose que vivre de son art.
WAAD
Est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous aimeriez bien ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.
Julien Hirt
Non, je ne l’ai jamais envisagé. Même si j’ai toujours écrit, ce n’est que sur le tard, à l’approche de la quarantaine, que j’ai envisagé de partager le fruit de mon travail avec un public, d’abord au théâtre et ensuite dans des textes publiés. A ce moment-là, ma vie était déjà construite sur d’autres plans, et je n’ai eu ni l’ambition, ni l’envie de la consacrer entièrement à l’écriture, qui n’est pour moi qu’un très agréable passe-temps.
Et oui, la perspective de l’auteur qui cherche à en vivre est complètement différente de celle pour qui il ne s’agit que d’une activité annexe. Je pense qu’il est impossible de vivre de sa plume sans avoir décidé de le faire très tôt, s’être bâti un plan de carrière, avec des objectifs clairs, s’être donné les moyens d’y parvenir, continuer à faire les bonnes rencontres et à frapper aux bonnes portes, etc… Personnellement je n’ai ni cette flamme, ni cette endurance, et j’ai énormément d’admiration pour celles et ceux qui le font.
WAAD
Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?
Julien Hirt
Pas du tout. Quand j’étais plus jeune, je me souviens avoir eu beaucoup de peine à accepter que certaines ou certains aient tellement plus de talent que moi, je me sentais presque blessé d’être le contemporain de personnes aussi outrageusement douées. Aujourd’hui, j’ai laissé tout cela derrière moi.
En règle générale, je pense que beaucoup d’auteurs écrivent parce qu’ils en ressentent le besoin. Ils ne le font pas par ambition, certainement pas par appât du gain et ils ne le font pas non plus parce que l’acte d’écrire leur procure un immense plaisir. L’écriture est un apostolat solitaire, qui réclame beaucoup de travail et engendre énormément de frustration, et ne s’y adonnent que celles et ceux qui ne peuvent tout simplement pas envisager de faire autrement.
Dans ces conditions, l’écriture est sa propre légitimité. J’écris pour moi d’abord, en espérant faire plaisir au lecteur ensuite bien sûr, mais si ça n’est pas le cas, ça ne remet pas en cause toute la démarche.
Quant à savoir si je suis digne de prendre la plume alors que tant d’auteurs plus talentueux l’ont fait avant moi, ça ne me fait ni chaud, ni froid. Laissons la postérité faire le tri : je ne me sens ni assez important pour réfléchir à ma place dans l’histoire de la littérature, ni suffisamment misérable pour me voir comme un imposteur.
WAAD
Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?
Julien Hirt
En fait, crois qu’il nous manque un mot en français. Tant le mot « écrivain » que le mot « auteur » renvoient à la fois à la littérature et à un métier. Dans ces circonstances, il n’y a pas d’échappatoire : ne serait écrivain ou auteur que celle ou celui qui, non seulement vivrait de sa plume, mais le ferait sans déshonorer l’histoire des lettres et sans jamais tomber dans la médiocrité.
Pour moi, ça revient à placer la barre un peu trop haut. Même si je comprends qu’on puisse avoir des critères plus exigeants, j’estime qu’un auteur, c’est quelqu’un qui, au moins une fois, aura été payé pour un texte de nature littéraire. Dans mon cas, une pièce de théâtre et un roman suffisent à me faire entrer dans le club.
Cela dit, je suis d’accord avec Pierre Desproges, qui préférait le terme d’« écriveur », pour qualifier sans être trop pompeux tous ceux qui écrivent. Je suis un écriveur, ça me va très bien. Les anglophones utilisent le mot « writer » aussi bien pour les romanciers que pour ceux qui rédigent les slogans publicitaires, et j’ai toujours trouvé cette approche très décrispante.
WAAD
En ce moment, il y a en France, et un peu partout en Europe, un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ? (entre autres, comme vous me l’aviez indiqué, du fait de votre situation d’auteur suisse)
Julien Hirt
Je les suis de loin. Bien sûr, je n’ai que de la sympathie pour celles et ceux qui trouveraient assez normal que des auteurs de talent puissent vivre de leur plume et qui jugent qu’il est bizarre que, bien souvent, l’auteur d’un roman soit le seul de toute la chaîne de production/édition/distribution qui soit obligé de se trouver un second métier pour continuer à vivre. C’est paradoxal. Parce que oui, quand on parle de « meilleure reconnaissance », on veut dire que les écrivains devraient gagner plus d’argent, n’est-ce pas ?
Oui, en tant que matière première de la littérature, l’écrivain n’est pas très bien traité et oui, il existe chez certains éditeurs un cynisme qui consiste à considérer que l’auteur devrait se satisfaire d’être édité et que ce privilège remplace tous les statuts financiers auxquels il serait tenté de prétendre. Il serait vain de le nier.
Cela dit, je suis quelqu’un de pragmatique, et je ne vois pas comment on pourrait augmenter les revenus des auteurs sans augmenter le prix du livre (impossible à envisager selon moi) ou faire appel au soutien de l’Etat (et l’idée de financer des écrivains avec le produit de l’impôt ne me séduit pas beaucoup). Les marges des éditeurs ne sont pas très larges, et celles des librairies, même en ligne, le sont encore moins.
Le système fonctionne mal, mais je me demande s’il ne fonctionne pas aussi bien que possible, malgré tout : des auteurs parviennent à écrire, certains en vivent, quelques chefs-d’œuvres sont écrits, la branche ne se porte pas si mal que ça… J’applaudis ceux qui réclament davantage mais je ne suis pas convaincu que c’est possible.
WAAD
Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?
Julien Hirt
Lorsque mon manuscrit a été accepté par un éditeur, les éditions Le Héron d’Argent, il a été fractionné en deux pour produire deux tomes (ce à quoi je m’attendais), puis on m’a demandé de raboter un peu plus d’un tiers du texte afin que les livres produits rentrent dans les critères de distribution de la Poste. Je dois dire que ça a été dur à avaler. Mais s’agissait-il d’une injustice ? Je pense que la première version de mon roman était un peu meilleure, mais je ne suis pas persuadé que la littérature doit totalement échapper aux réalités économiques. Donc c’était frustrant, mais au final, pas injuste.
Je ressens parfois de l’injustice quand je vois d’autres auteurs, qui sont obligés d’avoir une profession « alimentaire » pour continuer à écrire : je suis frustré d’imaginer tout ce qu’ils pourraient faire s’ils avaient la possibilité de se consacrer entièrement à l’écriture. C’est injuste. Maintenant, au royaume de toutes les injustices qui existent dans le monde, il est vrai qu’il en existe qui sont bien plus cruelles.
WAAD
Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?
Julien Hirt
J’écris une demi-heure par jour, du lundi au vendredi, pendant ma pause de midi au travail. Comme j’ai de jeunes enfants, c’est le seul moment où je suis assuré de pouvoir écrire. Parfois, il arrive que d’autres occasions se présentent et j’en profite, mais l’essentiel de mon écriture se concentre pendant ces moments-là. Par ailleurs, j’arrive à grappiller quelques minutes le matin avant d’aller au travail, ce qui me permet d’écrire un billet de blog chaque semaine.
Heureusement, j’écris très vite, donc une demi-heure par jour, ça me permet de produire une dizaine de pages par semaine. Au final, petit à petit, je m’y retrouve très bien.
Au fil des années, j’ai accumulé toutes sortes de techniques et d’astuces qui rendent l’écriture plus facile et plus agréable, raison pour laquelle j’ai décidé de lancer, très modestement, un blog consacré à la question, en me disant que certains auteurs en herbe pourraient être intéressés et pourraient souhaiter partager leurs propres expériences : https://julienhirtauteur.wordpress.com/
WAAD
Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?
Julien Hirt
Je suis bordelique. J’écris des romans épais avec des intrigues parallèles multiples et d’innombrables personnages, et ça, ça réclame forcément une grosse préparation en amont. Et oui, je le fais plus ou moins : je prends plein de notes, je construis un plan, etc…
Cela dit, je trouve toute cette planification particulièrement barbante, ce qui fait que je ne n’y consacre par toute la concentration et tout le sérieux que je devrais. Au final, mon plan existe mais il est loin d’être aussi précis que nécessaire, ce qui m’oblige souvent à des réécritures radicales et extensives du texte.
Ironiquement, je viens d’écrire un billet consacré au plan, afin de rappeler à quel point tout cela est important, mais même si je connais la théorie, à titre personnel, je ne suis pas un exemple à suivre.
Donc je ne suis pas un architecte qui planifie chaque détail, et dieu sait que je ne fais rien d’aussi poétique que de laisser mes personnages dicter leur propre rythme au roman. Je suis plutôt un bricoleur qui tente un truc, qui échoue, tente encore, répare, rafistole et croise les doigts en espérant que rien n’explose.
WAAD
Votre roman est construit comme un large voyage initiatique, fait de moments d’onirisme et de moments de tension mais qui ont en commun une héroïne qui va toujours de l’avant. Est-ce que le personnage de Tim fait écho à une envie de ne jamais s’appesantir ?
Julien Hirt
Pour moi, il n’y a rien de pire qu’un protagoniste qui ne fait rien et qui reste spectateur de son propre roman. En tant que lecteur, ça me rend fou. Donc j’estime que la raison d’être du personnage principal est d’être littéralement le moteur de l’intrigue : il prend toutes les décisions importantes, il fait avancer les choses, il agit constamment, quitte à se fourvoyer ou à se tromper de temps en temps. C’est particulièrement important selon moi quand un livre – c’est en partie le cas du mien – est rédigé à la première personne. Donc mes raisons sont principalement d’ordre esthétique plutôt que philosophique.
Cela dit, mon roman met en scène une adolescente à un moment charnière de son existence, et c’est à dessein qu’elle est perpétuellement en mouvement, qu’elle fait des rencontres de toutes sortes, qu’elle change d’avis et qu’on la voit évoluer peu à peu. Il s’agit moins d’éviter de s’appesantir que de se faire l’observateur d’un âge de la vie caractérisé par le changement.
WAAD
Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Un deuxième volet fin 2017 par exemple ?
Julien Hirt
Le second volet de « Merveilles du Monde Hurlant », intitulé « La Mer des Secrets » est terminé, relu et prêt à être envoyé à l’éditeur depuis le mois de juin. J’imagine qu’il devrait sortir courant 2018.
J’écris actuellement un autre roman qui se situe dans le même univers, et qui devrait paraître en ligne, sous une forme ou une autre, une fois la campagne de promotion de La Mer des Secrets sera terminée.
Sinon, je continue à publier chaque semaine sur mon blog un billet consacré à l’écriture. En tout, je pense rédiger une soixantaine d’articles, donc cette expérience devrait encore durer environ une année, si tout se passe bien.
Au-delà de ça, j’ai encore un autre projet de suite à « Merveilles du Monde Hurlant » sur lequel je commence vaguement à travailler, ainsi que quelques nouvelles et un modeste projet dans le domaine du jeu de rôle.
Merci à vous en tout cas !
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