Plumorama : Ariane Gélinas
Photographie par Démie Lecompte
Lorsque nous avons lancé le projet Plumorama, nous nous sommes tout de suite posé la question d’inclure ou non les auteurs francophones hors frontières. Or, nous nous sommes vite aperçu que nous connaissions mal la situation des auteurs en Suisse ou au Québec. Ariane Gélinas a donc accepté de répondre à toutes nos questions sur les auteurs d’Imaginaire au Québec, et je l’en remercie beaucoup !
What about a dragon ?
Bonjour, Ariane Gélinas !
Vous êtes une autrice québécoise aux multiples chapeaux : romancière, nouvelliste, directrice littéraire, chroniqueuse et collaboratrice du prozine Brins d’éternité en plus de votre activité d’enseignante. Merci à vous d’avoir accepté de répondre à nos questions !
Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?
Ariane Gélinas
Non, malheureusement.
Je vis d’un ensemble de petits métiers qui me permettent de subsister modestement. Lorsque j’enseigne, mes finances se portent mieux, mais j’ai alors peu (ou pas du tout) de temps pour écrire. J’ai donc une affection particulière pour les occasions où j’œuvre dans le secteur de l’édition, comme chroniqueuse ou directrice littéraire.
Je travaille essentiellement pour des revues (je suis cependant bénévole chez Brins d’éternité). Je suis notamment directrice littéraire pour Le Sabord, un magazine qui s’intéresse à l’hybridation entre la littérature et les arts visuels (plus précisément l’art contemporain).
Dans la mesure où je réalise également des chroniques pour les périodiques Lettres québécoises et Les Libraires et où je termine un doctorat, je n’ai de toute façon pas le temps de me consacrer entièrement à l’écriture.
WAAD
Est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous le souhaiteriez ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.
Ariane Gélinas
C’est un rêve, bien sûr, mais il me semble aussi important de ne pas travailler, jour après jour, exclusivement sur mes écrits. Dans l’idéal, j’aimerais pouvoir écrire (2-3 jours/semaine) et accompagner le reste du temps d’autres auteurs dans le cadre d’un travail éditorial, plus précisément lors de l’étape de la direction littéraire.
WAAD
Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?
Ariane Gélinas
J’ai entendu certains collègues auteurs en faire état.
En ce qui me concerne, j’ai commencé à raconter des histoires avant même d’apprendre à lire. Dès l’école primaire, on me disait que j’avais des aptitudes pour écrire, et je n’ai jamais (ou presque) cessé de m’exercer. À l’école, je passais le plus de temps possible à lire et à écrire. En conséquence, j’ai décidé de mettre cet art au centre de mon existence et d’y consacrer beaucoup d’énergie.
Pour cette raison, je ne me sens pas impostrice.
Ça ne signifie pas pour autant que les doutes sont absents concernant mes écrits. Mais mes appréhensions sont davantage de l’ordre du « détail » que du « fondement ». Je sais qu’écrire est ce vers quoi mon existence tend et je n’en doute pas au quotidien.
WAAD
Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?
Ariane Gélinas
L’écrivain est celui qui vit de sa plume, à la différence de l’auteur. Pour ma part, je ne me qualifie donc pas d’écrivain mais d’auteure (au Québec, le terme s’écrit « auteure » lorsqu’il désigne une femme), car je ne fais malheureusement pas métier de l’écriture.
WAAD
En ce moment, il y a en France un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que la situation au Québec est différente ?
Ariane Gélinas
La principale organisation d’auteurs au Québec est l’UNEQ. C’est une association qui permet d’accéder à de l’aide professionnelle, y compris légale, ce qui peut être utile lors de la signature de contrats, par exemple. L’UNEQ dispose également d’une Maison des écrivains à Montréal.
Ensuite, dans presque chacune des 17 régions du Québec, il existe une société des écrivains qui contribue au rayonnement des auteurs, permet de connaître davantage le métier ainsi que de participer à des événements rassembleurs.
WAAD
Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteure (du coup) ?
Ariane Gélinas
Je crois que je connais assez bien le milieu de la littérature et de l’imaginaire québécois pour savoir à quoi m’attendre. J’ai accepté depuis longtemps l’amertume découlant du fait de ne pouvoir vivre de ma plume. Au Québec, on ose rarement rêver vivre de l’écriture.
WAAD
Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?
Ariane Gélinas
Lorsque j’ai commencé à écrire, je pensais qu’il était nécessaire d’avoir des rituels d’écriture, mais je me suis aperçue que c’était extrêmement handicapant. J’écrivais à la main, sur un cahier, uniquement sur la page de droite, avec une tasse de café à ma gauche et mon chat sur les genoux, entre 13h et 15h. Au final, je constate que je m’emprisonnais moi-même. Cela dit, je suis à présent consciente de préférer écrire le matin. De même, travailler après 20h ne me convient pas. Enfin, tant comme auteure que comme contractuelle du milieu de l’édition, j’essaie autant que possible d’adapter mon horaire à celui de mon compagnon, qui est professeur au collégial et a un emploi du temps (imposé) qui varie chaque jour de la semaine.
Depuis six ans, j’écris de manière relativement assidue; je n’ai donc plus le syndrome de la page blanche : je m’assois et j’écris.
WAAD
Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?
Ariane Gélinas
Je suis de nature structurale. Je travaille avec des plans détaillés, chapitre par chapitre pour les romans et scène par scène pour les nouvelles. Lorsqu’il s’agit d’un roman, je vais du général au particulier. Avant d’écrire un chapitre, je réalise la veille un découpage scène par scène, de façon un peu cinématographique. Cela me permet de savoir combien de scènes je pourrai développer lors de ma session d’écriture du lendemain.
J’ai parfois quelques surprises, comme des personnages qui se révèlent plus attachants qu’escomptés, mais ce n’est pas parce qu’ils me « parlent » *rires*.
WAAD
Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Quels sont vos prochains projets ?
Ariane Gélinas
J’aimerais rappeler l’importance de la lecture aux aspirants écrivains. La curiosité est fondamentale dans le métier d’écriture. Il faut être apte à dépeindre le monde avec ses nuances.
Il y a une part d’ascétisme dans l’écriture. L’écriture est, pour beaucoup d’entre nous, un travail (même si elle ne permet pas d’en subsister) et non une exaltation.
Concernant les projets à venir, je suis plongée dans la réécriture de Quelques battements d’ailes avant la nuit, un thriller fantastique. J’espère une parution en 2018 ou en 2019, si mon éditeur est emballé par le manuscrit, bien sûr.
J’en profite finalement pour te remercier, Waad !