Plumorama : Jean-Claude Dunyach
Photo par Fette Sans
Aujourd’hui, et bien que je l’ai raté aux Utopiales, Jean-Claude Dunyach nous gratifie d’une longue et passionnante interview Plumorama. Merci à lui et à très vite !
What about a dragon ?
Bonjour Jean-Claude Dunyach !
Vous êtes un nouvelliste et un romancier reconnu, capable des textes les plus sensibles et les plus profonds, à l’image du recueil Le clin d’œil du Héron pour lequel vous avez remporté le prix des Imaginales en 2017, comme des plaisirs les plus coupables, avec les aventures de votre Troll qui dynamite avec force jeux de mots un monde du travail et une société souvent en berne.
Merci d’avoir accepté de prendre le temps de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !
Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?
Jean-Claude Dunyach
Pas du tout ! C’est même totalement inimaginable. Je ne gagne même pas assez pour être inscrit à l’AGESSA. Mes gains annuels, côté littérature, sont de l’ordre de 2 000 à 4 000 euros, suivant les années. Parfois moins…
J’ai donc un autre métier que j’adore (je suis ingénieur de recherche en aéronautique) et j’écris dans les intervalles de temps qu’il me laisse.
WAAD
Est-ce que vous avez l’impression que c’est devenu plus dur ces dernières années ? Pour quelles raisons selon vous ?
Jean-Claude Dunyach
Même si je ne vis pas de ma plume, je sais que c’est devenu plus dur (c’est un sujet de discussion récurrent avec mes collègues). Il y a de plus en plus de livres et d’auteurs, des tirages moindres, donc des revenus moindres, et il est toujours difficile de trouver des activités payantes en relation avec le métier d’auteur (interventions scolaires ou autres, conférences, etc.).
La littérature est un gâteau dont la taille diminue peu à peu alors que le nombre de convives augmente. Seul un tout petit nombre d’auteurs ou d’autrices parvient à en vivre. Ou parfois à en survivre.
WAAD
Pour autant, est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous aimeriez bien ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.
Jean-Claude Dunyach
Non, je ne l’ai jamais envisagé… Outre les aspects bassement matériels (je ne gagne pas assez d’argent avec mes livres), j’aime trop la liberté que procure le fait de ne pas dépendre d’un contrat. J’écris ce que je veux, comme je le veux, et je ne propose mon ouvrage à un éditeur qu’une fois terminé, sans contrat préliminaire.
WAAD
Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?
Jean-Claude Dunyach
Bien sûr. J’en souffre régulièrement, comme beaucoup de collègues. Il n’y a aucune légitimité à être auteur, aucun diplôme, et personne pour vous adouber. Je sais que j’ai pu écrire mes livres précédents, je n’ai aucune certitude pour les suivants. Et il y a tellement de livres que je trouve meilleurs que les miens…
Ça ne me paralyse pas, heureusement, mais ça me pousse à m’interroger sur la nécessité de ce que j’écris. Et j’avoue profiter honteusement des gens (souvent des collègues que j’admire) qui acceptent de relire mes manuscrits. S’ils pensent que le résultat est « légitime », j’accepte de ne plus me poser la question. Jusqu’au suivant.
WAAD
Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?
Jean-Claude Dunyach
Un auteur est quelqu’un qui écrit et qui publie. Point. Il y en a que j’aime, d’autres dont je n’apprécie pas les œuvres, et beaucoup trop que je n’ai pas lus… Après, être professionnel, c’est une attitude générale qui comporte de nombreuses facettes : son écriture et ses techniques narratives, qu’on essaie toujours de faire progresser ; son rapport au monde éditorial (on signe des contrats et on a des obligations en rapport avec ce qu’on a signé) ; son rapport au public ; son rapport au milieu (festivals, collègues, etc.). Il faut apprendre à gérer tout ça, à ne pas se laisser faire, à mettre des barrières, parfois. Ce n’est pas facile et encore une fois il n’y a pas de diplômes pour ça. Heureusement qu’on se fait aider par les collègues et par les syndicats type SELF.
WAAD
En ce moment, il y a en France, et un peu partout en Europe, un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ?
Jean-Claude Dunyach
Oui, je soutiens à fond ces revendications et je remercie du fond du cœur tous ceux qui s’efforcent de faire progresser les choses. Cela dit, d’un point de vue économique, la situation d’un auteur est par nature désespérante. Un auteur touche une fraction (contractuelle) de l’argent que rapportent ses livres, et pas grand-chose d’autre. On peut négocier cette fraction avec son éditeur, on peut se battre pour que les obligations contractuelles de l’éditeur soient respectées (reddition des comptes, clauses abusives, paiements dans les délais, etc.), on peut chercher des revenus annexes (prêt en bibliothèque, interventions scolaires payées, etc.). Mais si les livres ne rapportent pas assez d’argent, si l’auteur « se vend mal », il ne gagnera pas sa vie. Alors qu’un éditeur ayant un catalogue suffisamment important compensera les mauvaises ventes d’un auteur par celles d’autres auteurs, plus populaires. C’est un modèle économique différent.
Le plus dur, quand on écrit, c’est d’accepter qu’on travaille en général pour pas grand-chose, et que ce n’est la faute de personne. On peut centrer sa vie là-dessus, économiquement parlant (ça marche pour quelques privilégiés), ou le vivre comme une passion peu rentable qui vient en complément de ses autres revenus.
WAAD
Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?
Jean-Claude Dunyach
J’ai eu divers problèmes avec certains éditeurs (mauvaise reddition des comptes, paiements en retard, contrats comportant des clauses illégales, j’en passe et des meilleures), comme la plupart des auteurs, malheureusement. Une des injustices criantes de ce métier est que les soi-disant professionnels du secteur ne le sont pas – et ce sont les écrivains, les traducteurs, les illustrateurs, etc., qui en font les frais. Je finis par ne plus travailler qu’avec un petit nombre d’éditeurs en qui j’ai confiance.
Après, je sais qu’il faut se battre pour que le genre de l’imaginaire au sens large soit mieux reconnu au sein de la « littérature ». Il y a un déséquilibre de perception qui est facilement vécu comme une injustice. Les choses progressent trop lentement à mon goût, mais elles progressent néanmoins et les dernières initiatives autour du manifeste de défense des littératures de l’Imaginaire me paraissent salutaires.
WAAD
Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?
Jean-Claude Dunyach
Non, je ne peux pas. J’ai un métier très prenant, une famille, d’autres activités (je suis parolier, entre autres choses). Donc j’écris littéralement quand je peux, n’importe où, dans l’avion, sur mon téléphone dans le métro, en me levant, avant de me coucher, dans les creux que me laissent mes activités. J’écris sur ordinateur, sur papier, sur mon téléphone, assis, debout ou couché. Avoir deux ou trois heures d’écriture devant moi est un luxe inouï.
Cela dit, je serai à la retraite dans un peu moins de deux ans, en principe. À ce moment-là, je pense que je réorganiserai mon agenda pour me prévoir des plages d’écriture au calme dans mon bureau, avec un lait chaud à la cannelle, de la bonne musique dans le casque et pas d’interruption !
WAAD
Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?
Jean-Claude Dunyach
Je suis devenu polyvalent… J’ai longtemps eu tendance à planifier (mon premier roman, « Le jeu des sabliers » était entièrement structuré avant que je commence à l’écrire et certaines de mes nouvelles ont des plans et des notes plus longues que la nouvelle elle-même). Puis j’ai appris à pratiquer le lâcher prise (j’ai fait de la sophrologie) et à me faire confiance. J’écris mes histoires de troll comme un jardinier, en me contentant de plonger mes personnages dans une merde noire, pour voir comment ils vont s’en sortir. Ça me vaut quelques nuits blanches, mais c’est nettement plus fun. D’autres textes, en revanche, ont besoin de plans – plus un texte est court, plus j’ai besoin de tourner autour pour en distinguer toutes les facettes avant de l’écrire.
En ce moment, par exemple, j’écris deux bouquins en même temps : un space-opera à peu près cadré, où je sais comment ça va finir, et le troisième troll, qui évolue au fil des desiderata des personnages et de leurs idées totalement inefficaces. Au lieu de s’en sortir, ils s’enfoncent, et je les regarde faire avec une pointe d’inquiétude.
Mais chacun a sa méthode, le tout est de se sentir à l’aise avec. En littérature, il n’y a que le résultat qui compte, pas la méthode.
WAAD
Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Quels sont vos projets du moment ?
Jean-Claude Dunyach
En ce moment, j’aimerais me remettre aux nouvelles, mais je n’ai que des idées de textes longs… C’est une situation assez inédite chez moi. Il faut dire que mon Troll et son entourage sont devenus des locataires de ma pauvre cervelle et qu’ils font un boucan pas possible quand je ne m’occupe pas d’eux ! Mais ça finira par se calmer, je pense.
En tout cas, je n’ai pas l’intention d’arrêter.