Plumorama

Plumorama : Danielle Martinigol

Photo ActuSF

 

Avec beaucoup de gentillesse, Danielle Martinigol a accepté d’apporter ses réponses au Plumorama. Même si je suis partial, je trouve que l’effondrement des à-valoir est particulièrement parlant grâce à ses mots. Merci à elle et à très vite !


What about a dragon ?

 

Bonjour Danielle Martinigol !

 

2017 est une année riche en parutions pour vous, puisque sont sortis tour à tour la réédition sous forme d’intégrale de la série Les Abîmes d’Autremer, une œuvre de science-fiction primée dans laquelle vous traitez les thèmes toujours actuels de l’écologie et du rapport aux médias, ainsi que les troisième et quatrième tomes des Aventures à Guédelon.

 

Merci d’avoir accepté de prendre le temps de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Danielle Martinigol

 

Non je n’ai jamais touché suffisamment de droits d’auteur pour envisager de quitter mon travail de professeur titulaire dans l’Éducation Nationale. Quand j’ai publié mon premier roman, j’élevais seule mes deux enfants de onze et huit ans. Il était hors de question que je lâche la proie pour l’ombre. Mais je ne connaissais rien au milieu éditorial et persuadée que j’allais toucher de l’argent, j’avais promis à mes enfants – qui en rêvaient – de les emmener à Disney World en Floride avec mes droits d’auteur (Disneyland Paris n’existait pas). Soit dit au passage mon minimum garanti, on ne disait pas encore à-valoir, (j’ai signé le contrat en 1988) était de 10.000 francs soit… 1500 euros. Que l’on me cite un métier où l’on a si peu progressé côté rémunération ? Des éditeurs actuels ne proposent même pas cela, trente ans plus tard ! Maintenant que je suis retraitée, la question ne se pose plus, mais heureusement que je touche ma pension pour assurer le quotidien !

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Danielle Martinigol

 

Pas trop. Mais j’ai presque 50 romans derrière moi et j’ai gagné mes galons de légitimité par la prescription scolaire dès le début de ma carrière. Ceci dit, je n’aime pas participer à des tables rondes devant un public d’adultes. Je fais du rétro-trac ! A posteriori j’ai l’impression de n’avoir dit que sottises et banalités. Mon public, ce sont les jeunes. Je n’ai aucun souci pour faire mon one-woman show devant une salle comble d’adolescents. Je l’ai fait à l’espace Shayol aux Utopiales plusieurs fois et cette année à Étonnants Voyageurs. Je sais qu’il y a des adultes présents, mais je m’adresse aux jeunes et j’oublie les autres spectateurs. J’ai fait jadis de la radio libre. Ça m’a beaucoup appris, parler sans voir l’auditoire, ne penser qu’à un auditeur « imaginaire » lecteur… d’imaginaire ! *rires*

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Danielle Martinigol

 

Je fais une distinction entre écrivain-écrivaine et auteur-auteure / autrice. Je suis en train de m’habituer à dire autrice. Je trouve ce mot sympa. J’employais écrivaine comme mes amis Québécois depuis longtemps. Mais autrice me plaît bien et puis savoir qu’on a banni ce mot de notre langue d’une manière… virile, me fait l’aimer deux fois plus ! Donc écrire est un loisir cher au cœur de beaucoup de personnes. Il y a des millions de pages noircies dans les tiroirs. On ne peut prétendre au nom (titre ? statut ?) d’auteur ou d’autrice que lorsqu’on a son nom sur la couverture d’un livre. Vous ne direz jamais Victor Hugo est l’écrivain de Notre Dame de Paris, vous direz qu’il en est l’auteur. Être auteur-autrice c’est avoir passé le pas, être devenu professionnel, avoir soumis son texte à l’approbation d’une maison d’édition – vous remarquerez que j’évite éditeur éditrice 😊 et surtout être payé pour ça ! C’est un métier aussi bien masculin que féminin. Je me bats depuis toujours pour que ce soit reconnu comme tel et j’ai toujours imposé à mes éditeurs de mentionner mon prénom en entier sur la couv de mes livres. Une femme autrice de science-fiction en jeunesse de surcroît ? Quand j’ai commencé, j’étais très isolée dans un triple ghetto. Je suis ravie de voir désormais tant de jeunes autrices me côtoyer sur les salons !

 

WAAD

 

En ce moment, il y a en France, et un peu partout en Europe, un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ?

 

Danielle Martinigol

 

Oui bien sûr. Je suis tout cela de près. J’ai été membre de la Charte très longtemps. J’ai dû être la soixantième inscrite à l’asso. Je suis au SELF. Mais je laisse la place aux jeunes. J’ai fait ma part.

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’autrice ?

 

Danielle Martinigol

 

Ne jamais avoir eu de retours clairs de mes éditeurs sur les chiffres de vente de mes romans, tant en France qu’à l’étranger, j’ai été traduite en dix langues, me hérisse au plus haut point. Un jour que je m’énervais au téléphone, une personne « autorisée » (Ah si Coluche était encore là…) m’a répondu : vous avez le droit de venir nous voir avec un expert-comptable. Mais à vos risques et périls. J’ai compris. Votre prochain manuscrit passera direct à la poubelle. Je pense que nous sommes toujours, hélas, dans ce type de problématique. Sois autrice et tais-toi.

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ? Par ailleurs, on oppose souvent architectes, c’est-à-dire les auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, et jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Danielle Martinigol

 

Oh joli d’opposer architectes et jardiniers. Je m’en resservirai pour parler d’écriture à mes jeunes lecteurs ! Alors comme j’adore les paradoxes, je vais dire que je suis une architecte dans un jardin à l’anglaise !

 

Je fais des synopsis très serrés. Chapitre par chapitre. Je fais un diagramme des enjeux, c’est ainsi que j’appelle la page de flèches et de gribouillis avec les gentils, les méchants, les buts de chacun et les interactions entre tout ce beau monde pour aboutir à ma cible. Je connais toujours la fin d’un roman en le commençant. Mais la flèche – le fil de la narration – pour atteindre la cible fait souvent de sacrés virages jusqu’à tourner à angle droit parfois, mais jamais à 180 tout de même ! Je me tiens toujours à la trame première de mon histoire.

 

Je n’écris que si j’ai une demi-journée entièrement libre devant moi. Je n’écris jamais par petites tranches. Je m’immerge. Dans le silence. Toujours dans mon bureau-bibliothèque avec mes douze-mille livres autour de moi. Et mon chat. Et mon mari quand il est là. Il est aussi calme que les livres et le chat, c’est top. Je suis une autrice cocoon. J’attends d’ailleurs de mes éditeurs qu’ils me rassurent. Je doute souvent. Eh oui, même au cinquantième roman, surtout au cinquantième roman dirais-je.

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Quels sont vos projets du moment ?

 

Danielle Martinigol

 

Depuis des années et des années, je porte en moi un roman pour adultes complexe. Je connais à fond mon univers, mes mondes – il y en a beaucoup, c’est du space op, ma tasse de thé. L’essentiel de mon travail consiste à ouvrir des portes pour y faire entrer mes lecteurs. Et quelquefois, il faut que je donne de sacrés coups d’épaules dans le « machin » pour que les dites portes s’ouvrent sur quelque chose de clair. Vous connaissez l’image du petit personnage qui enjambe un rebord de fenêtre avec le noir d’un côté et le blanc de l’autre ? Voilà, j’en suis là. Prête à entrainer le lecteur avec moi. Mais vers quoi ? Qui basculera, verra. Mais pas avant un an au moins.

 

Pour conclure, j’ai emmené mes enfants à Disney World, mais en rajoutant beaucoup au bout de mes droits d’autrice !

 

Merci mille fois à vous de m’avoir posé toutes ces super questions. Amitiés sincères à tous les lecteurs et lectrices !

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