Plumorama

Plumorama : Mathieu Rivero

Photo par René-Marc Dolhen

 

Bon, Mathieu Rivero a ses entrées sur le site, on l’aura bien compris, mais il aurait été dommage de ne pas lui demander de se plier au jeu des questions du Plumorama ! Merci à lui et à très bientôt !

 


 

What about a dragon ?

 

Bonjour Mathieu Rivero !

 

Vous êtes l’auteur le plus chroniqué sur le blog, à tel point que je ne suis pas sûr de savoir comment vous présenter différemment. Vous êtes auteur, joueur, et, depuis plus récemment, vous travaillez dans le milieu de l’édition auprès de la revue Carbone.

 

Merci d’avoir accepté de prendre le temps de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Mathieu Rivero

 

Non.

 

Plus exactement, si on intègre la traduction et l’édition, je vis des livres, mais pas nécessairement des miens. Mais ça me va.

 

WAAD

 

Est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous aimeriez bien ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.

 

Mathieu Rivero

 

Ça m’a toujours paru très difficile. Dans mon rôle de couteau-suisse, je peux vivre convenablement même si cela demande un rythme de vie complexe à gérer et fatigant. Ne faire qu’écrire ne me simplifierait pas la vie : il y a les contraintes créatives, faire accepter ses 6 projets par an (si on n’a pas de loyer à payer) par des éditeurs, et il faudrait idéalement que ça fonctionne tranquillement et que les paiements arrivent au bon moment. Et à moins de vendre des palanquées d’exemplaires, ça serait super précaire. Je préfère donc être cette sorte de dilettante professionnel : j’écris des romans, mais ça ne remplace pas une activité principale. Et je doute que ce soit sain pour le milieu que tout le monde essaie d’en vivre. On parle déjà de surproduction, après tout…

 

Exemple édifiant : sur un bouquin en particulier, je suis intervenu en établissement scolaire à la demande dudit établissement. J’ai gagné plus d’argent avec ces prestations qu’avec mes droits d’auteur sur ce roman. Si on annualisait, je serais bien moins que smicard.

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Mathieu Rivero

 

En permanence !

 

À chaque fois que j’attends une critique, et même quand j’écris, je le ressens. J’ai le sentiment que tout le monde peut faire ce que je fais. Je ne comprends pas les tenants et les aboutissants du succès. Je suis toujours impressionné par les prouesses techniques des autres, du dialogue de film à la délicatesse d’une métaphore. Ce qui n’aide pas, c’est d’avoir le nez dans le guidon, plongé dans la création ; à force, on ne sait plus ce que vaut son œuvre, on perd trace de ses forces. Je suis bien plus conscient de mes limitations et faiblesses créatives, puisque ce sont elles que je repousse à chaque fois que je me lance dans un projet.

 

Heureusement, il y a des œuvres particulières, comme Tout au milieu du monde, pour lesquelles je peux me reposer sur le talent des autres ! Julien, Melchior, vous êtes cent fois meilleurs que moi. Voilà, c’est dit !

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Mathieu Rivero

 

L’auteur est celui qui écrit, qu’il termine son texte ou non, qu’il soit débutant ou pas, et d’une manière générale quel que soit le contenu de ce qu’il écrit (ou invente).

 

Le professionnel décide, lui, de s’investir suffisamment pour vouloir accepter les contraintes du milieu éditorial afin de dégager un revenu de sa plume. On peut évidemment être auto-édité et professionnel puisque, pour moi, c’est la notion de contrainte qui est au cœur de la définition.

 

Une œuvre est un joyau brut, et un joaillier ne vend pas de joyaux bruts : c’est à l’éditeur de ciseler, ou à l’auteur auto-édité, le cas échéant.

 

WAAD

 

En ce moment, il y a en France, et un peu partout en Europe, un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ?

 

Mathieu Rivero

 

Je me sens complètement investi et proche de ces causes ! Je me sens proche de la Charte, même si je n’apprécie souvent pas les modes de communication institutionnels.

 

Il y a un problème de fond, qui touche aussi d’autres milieux : le producteur est souvent le maillon le moins valorisé. Dans le milieu de l’écriture, s’ajoute la nécessité pour les auteurs déjà précaires de faire un travail de représentation, souvent bénévolement, sinon à leurs frais. C’est rarement rémunéré.

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?

 

Mathieu Rivero

 

Je dois l’avouer, j’ai bénéficié d’une chance hors normes : zéro souci pour se faire publier, les bouquins marchent raisonnablement bien, je suis tombé chez de chouettes éditeurs. Limite, si je voulais me plaindre, il me manque juste l’achat des droits poche, de traduction et d’adaptation cinéma. Par conséquent, je répondrais plutôt non ; chez moi, ça va.

 

J’estime normal le fait que certains auteurs, chouchous de leurs maisons d’édition, aient des droits supérieurs aux miens, dès lors qu’il y a une volonté de les fidéliser.

 

Des injustices existent, par exemple vis-à-vis des autrices (moins représentées alors que statistiquement plus nombreuses), ou du secteur jeunesse (droits d’auteur misérables), mais je suis du bon côté de la barrière. Je reconnais mon privilège.

 

En tant qu’auteur français, je trouve également étrange que nous soyons souvent moins attractifs pour les maisons d’édition que des auteurs étrangers qu’il faut traduire (cela dit, traducteur est une de mes fonctions, donc j’en bénéficie).

 

[NDLR : Concernant l’écriture, je vous renvoie à l’interview vidéo que nous avions réalisée l’année dernière, dans laquelle Mathieu Rivero détaille longuement son processus d’écriture.]

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Quels sont vos projets du moment ?

 

Mathieu Rivero

 

L’un des problèmes majeurs de la chaîne du livre concerne aujourd’hui l’action du distributeur. Il dispose, dans une certaine mesure, d’un droit de vie et de mort sur le livre alors même qu’il est payé par l’éditeur pour défendre les ouvrages. C’est ainsi que certains romans sont mis au placard sans leur laisser de chance. On passe d’un fruit de la passion (chez l’auteur et l’éditeur, c’est sûr) à un fruit de l’industrie. C’est un travers qui aide à mieux et plus vendre, mais qui bénéficie surtout au plus gros.

 

Concernant mes projets, comme indiqué, je suis aujourd’hui éditeur pour Carbone, une revue transmédia vraiment top ! Je m’occupe essentiellement de la partie fiction. On y trouve de la prépublication mais aussi de la fiction originale (avec des petits bouts de moi dedans parfois. Promis, c’est pas crado).

 

En parallèle, je travaille sur un autre roman illustré avec les Moutons Électriques mais aussi bien sûr sur le tome 3 des Arpenteurs de rêve dont il faut encore que je trouve le titre (et donc le poème associé). Et quelques nouvelles à droite à gauche. Et peut-être sur des surprises à annoncer.

 

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