Plumorama

Plumorama : Nicolas Cartelet

 

Salut les dragonautes,

 

Après Hervé Jubert hier, c’est Nicolas Cartelet qui a bien voulu répondre à nos questions sur le statut d’auteur, l’écriture et l’édition.

 

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A très vite !

 


What about a dragon ?

 

Bonjour Nicolas Cartelet !

 

Vous êtes l’auteur de la trilogie Néagé, un space-opéra humaniste et de Petit Blanc, un conte philosophique moderne aux éditions Mü.

 

Merci donc d’avoir accepté de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Nicolas Cartelet

 

Non. L’argent des à-valoir et des droits d’auteur n’a pour l’instant été qu’un peu de beurre dans les épinards pour moi. À vrai dire, les seuls projets m’ayant rapporté des revenus un tant soit peu significatifs ne sont pas les romans que tu as cités, mais un document sur l’anticipation, Rêves de futurs, et quelques textes écrits sous pseudonyme. Et même dans leur cas, il n’y avait pas de quoi se dégager de quoi « vivre » décemment. Au quotidien, je suis éditeur en CDI. Je vis des livres que je n’écris pas.

 

WAAD

 

Est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous aimeriez bien ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.

 

Nicolas Cartelet

 

Comme beaucoup d’auteurs, je me suis déjà imaginé connaître le succès comme romancier et quitter mon travail pour ne plus faire qu’écrire. Je crois que cela nourrirait mon orgueil et mon assurance, mais je ne suis pas certain d’être fait pour ce genre de vie : je gère mal la pression et j’ai tendance à procrastiner lorsque je sens trop d’attentes autour de mon travail. Me dire que c’est une autre activité que l’écriture qui me fait vivre me permet une certaine liberté dans le processus de création – et ça n’est pas du luxe car globalement, je suis tout sauf léger lorsque je travaille sur un texte. Autant ne pas y ajouter la pression du résultat.

 

Autrement dit, quand bien même l’écriture me rapporterait beaucoup d’argent, j’aimerais pouvoir conserver une source de revenu parallèle – et puis le travail en entreprise assure un lien avec le monde, indispensable à mon sens pour écrire des choses vraies.

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Nicolas Cartelet

 

Bien sûr, c’est un sentiment qui m’a souvent traversé, au travail comme dans l’écriture. C’est exacerbé au moment des salons où je rencontre d’autres auteurs, où je confronte mon ego à d’autres – cette impression de n’avoir rien à dire, rien à défendre, cette tendance à s’excuser de tout, d’être là, d’avoir écrit sur tel sujet, de telle manière… J’ai parfois la désagréable impression qu’écrire ne suffit pas à être légitime en tant qu’auteur ; qu’il faut aussi avoir un discours sur l’écriture, et mieux encore qu’il faut savoir tenir ce discours, être sans cesse en représentation de soi auteur, pour convaincre les autres qu’on est de la bande, qu’on est à lire. Ayant beaucoup de mal à assumer ce rôle, je me sens souvent, oui, illégitime.

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Nicolas Cartelet

 

Un auteur pour moi, c’est quelqu’un qui comprend le monde et l’écrit, simplement. Pas le poète dans sa tour d’ivoire, quelqu’un qui se sent assez concerné par le monde, assez touché par lui pour ressentir le besoin d’en transcrire sa vision par le biais du roman, de l’essai, de tout ce qui est écriture. Et quelqu’un qui travaille, bien sûr. Car l’écriture c’est du travail, c’est de l’artisanat davantage que de l’art. Rien à voir avec les élans de génie qu’on peut s’imaginer. En tout cas pas pour moi.

 

Quant à savoir ce qui fait la différence entre un amateur et un professionnel, je dirais que c’est une question de travail (encore) et de réflexion sur l’écriture. Je peux tenter de l’expliquer en évoquant mon propre parcours. J’ai écrit mes tout premiers romans alors que j’apprenais à écrire – Néagè, Time-Trotters, deux trilogies, six textes, je les ai écrits d’une traite, au kilomètre, sans beaucoup revenir en arrière, porté certes par l’enthousiasme des découvertes mais sans jamais me remettre en question. Après la parution de ces textes, il s’est passé un long moment pendant lequel j’ai pris le temps de réfléchir à ce que je voulais réellement écrire, et comment je voulais l’écrire. J’ai commencé à travailler plus lentement, plus régulièrement, à prendre le temps de construire mentalement mon propos avant de l’écrire, à réécrire, à sans cesse douter de ce que j’écrivais. Petit Blanc est issu de cette longue phase de remise en question. Je suis sincèrement persuadé d’avoir alors fait un grand pas sur le chemin qui mène de l’amateurisme au professionnalisme.

 

WAAD

 

En ce moment, il y a un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ? (par exemple parce que vous ne considérez pas l’écriture comme un revenu)

 

Nicolas Cartelet

 

Je suis ces revendications mais je ne suis pas un militant dans l’âme, je reste en retrait de ces mouvements. Je trouve qu’un certain nombre d’entre eux sont légitimes, sur la question de l’à-valoir notamment, ou sur le % reversé aux auteurs au-delà d’un certain seuil de ventes (quand le livre est « remboursé » du côté de l’éditeur). Mais dans le système actuel de répartition de la richesse du livre, les marges de négociation sont limitées – d’autant que les auteurs se concurrencent eux-mêmes ; tant de gens écrivent et veulent être publiés qu’on trouvera toujours un auteur plus docile que vous, quand bien même vous avez du talent.

 

WAAD

 

Dans le cadre de votre mission éditoriale, est-ce que vous jugez ces questions différemment ?

 

Nicolas Cartelet

 

Oui, c’est certain. J’avais tout un tas d’idées arrêtés sur l’édition avant de m’y engager, qui ont pour la plupart d’entre elles volé en éclats depuis. Je suis de l’autre côté du miroir, je vois les comptes d’exploitation, les relevés de ventes, la réalité du marché de l’édition : à part pour les très grands éditeurs qui fabriquent les best-sellers (et qui se comptent sur les doigts d’une main), l’édition n’a rien d’une machine à fric. L’éditeur n’est pas un voyou qui chercherait sans cesse à escroquer l’auteur. Quand le petit éditeur indépendant ne verse pas d’à-valoir – ou un à-valoir symbolique – c’est que l’économie du livre qu’il cherche à éditer ne lui permet pas. Quand on regarde le camembert de répartition des revenus d’un livre (où la diffusion, la distribution, l’impression, la rémunération du libraire prennent une grande place), on se rend compte que l’éditeur n’est pas beaucoup mieux loti que l’auteur. C’est l’effet d’échelle qui génère de la richesse : l’auteur écrit un livre tandis que l’éditeur en publie des dizaines.

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?

 

Nicolas Cartelet

 

J’ai dit ce que je pensais de la rémunération des auteurs ; les injustices que j’ai pu ressentir à titre personnel sont davantage d’ordre symbolique – un déficit en reconnaissance, parfois l’impression d’être confisqué de son œuvre. Beaucoup de choses se décident sans l’auteur (ou via des consultations symboliques où vous n’avez pas, en réalité, votre mot à dire) dans le processus de publication d’un livre, et c’est parfois difficile à accepter pour les êtres orgueilleux que nous sommes. L’élaboration de la couverture, de la 4ème de couverture, le choix de la forme qu’aura l’objet livre, parfois même le choix du titre… Sur ces sujets, il me semble que trop d’éditeurs se méfient de l’auteur, le considérant comme un « emmerdeur » potentiel. On perd parfois de vue que l’auteur est à l’origine de tout, et qu’en cela il est viscéralement attaché à sa création. On a la certitude que les éditeurs font les auteurs, mais on a oublié que ce sont les auteurs qui font l’édition. Ménageons un peu mieux leur ego.

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?

 

Nicolas Cartelet

 

Lorsque je suis lancé dans l’écriture d’un texte, j’essaye autant que possible d’écrire tous les jours, et longtemps – disons tous les soirs, 3 ou 4 h, et une demi-journée le samedi comme le dimanche. À une époque je me fixais un nombre de mots à atteindre quotidiennement, j’ai laissé tomber cette discipline qui visait je crois la quantité plutôt que la qualité. Je me force à lire aussi, le plus possible. Non pas que la lecture soit pour moi une corvée, mais quand le processus d’écriture d’un livre est avancé on a tendance à vouloir ne plus faire que ça. Or je ne pense pas qu’on puisse écrire de bonnes choses sans se nourrir de ses lectures.

 

WAAD

 

Souvent on parle d’architectes, de jardiniers ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Nicolas Cartelet

 

Je veux être honnête et préciser que j’ai dû te demander le sens de ces termes avant de répondre : je ne lis rien qui concerne les théories sur l’écriture, je sais que la communauté des auteurs est très diserte sur le sujet, notamment sur Internet, mais je ne m’y intéresse pas. Dans mon travail, je suis définitivement du côté de l’architecture. J’avance avec des plans très détaillés. Je vais jusqu’à résumer le plan de chaque paragraphe à l’aide de quelques mots avant de l’écrire. Cela me permet d’éviter les passages bavards, inutiles, d’aller droit au but : un paragraphe que je m’apprête à écrire et que je n’arrive pas à résumer en quelques mots est généralement un cul-de-sac à éviter. Je relis à voix haute et retravaille le paragraphe dès qu’il est terminé : je n’attends pas d’avoir écrit l’ensemble du roman pour commencer la relecture, je cherche l’unité et la musicalité de chaque partie avant de construire le tout. Cela me permet, aussi, de réduire considérablement le travail de réécriture une fois le roman terminé.

 

WAAD

 

Si on parle de Petit Blanc maintenant, comme j’ai pu le dire dans la chronique, l’élan qui fuse à travers le roman est particulièrement marquant. Dans un post de blog récent, tu parles de la lutte contre les forces qui nous dépassent, qu’est-ce que ce thème représente pour toi ? Est-ce que la fatalité t’effraie ?

 

Nicolas Cartelet

 

Non seulement elle m’effraie, mais je crois qu’elle est partout présente, elle prend la forme du déterminisme et nous touche tous de plus ou moins loin. S’il y a bien une chose que je pense avoir apprise en étudiant l’histoire, c’est que le mythe de l’émancipation de l’homme, de l’ascension sociale par le courage et la volonté est un leurre. On trouvera toujours des exceptions, mais combien de réussites pour les milliards de vies n’ayant pas réussi à s’arracher à leur condition – car on essaye tous, depuis toujours, c’est le moteur des sociétés humaines.

 

On ne lit pratiquement que des romans où les héros réussissent cette chose impossible. Ces héros et ces romans nourrissent ce mythe. Avec Petit Blanc, j’ai voulu écrire le monde tel qu’il est pour ceux qui ne réussissent pas. Une sorte d’histoire, ou plutôt d’anthropologie des petits, qu’on pourrait transposer à bien des époques et bien des situations autres que le cadre colonial de mon livre. La fatalité comme histoire universelle – de la tragédie, en somme.

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ?

 

Nicolas Cartelet

 

Le travail d’auteur a ceci d’étonnant qu’il consiste en une répétition des mêmes phases successives de silence et de parole ; pendant de longs mois on écrit, réécrit, travaille à l’édition d’un prochain roman avec son éditeur (les plus courageux continuent d’assurer leur présence sur les réseaux sociaux pendant cette période, je n’y parviens pas), tout ça en silence ; et puis soudain, pendant, disons, deux à trois mois encadrant la date de parution du livre, on est amené à rencontrer ses lecteurs, parler avec eux, répondre à diverses sollicitations – cette interview par exemple. Je me remets tout doucement à l’écriture, avec la correction d’un roman à paraître en 2018 et le travail sur un nouveau projet. Peu à peu, je vais revenir au silence, mais je continuerai d’aborder les thèmes dont nous avons parlé, que ce soit dans le giron des littératures de l’imaginaire ou au-delà. Je te donne donc rendez-vous dans quelques mois. Comme d’habitude.

 

Merci à vous en tout cas !

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