Plumorama

Plumorama : Chloé Chevalier

 

A l’occasion du Mois de l’imaginaire, Chloé Chevalier était en déplacement à Chambéry et c’est là que j’en ai profité pour conduire cette interview où elle compare, entre autres, les métiers d’auteur et de scénariste. Merci à elle et à très vite !



 
What about a dragon ?

 

Bonjour Chloé Chevalier !

 

Vous êtes une faiseuse d’histoires : scénariste dans le cinéma, productrice de courts et moyens métrages, mais aussi bien sûr autrice des Récits du Demi-Loup, une excellente saga de fantasy politique et martiale aux éditions les Moutons Électriques.

 

Merci d’avoir accepté de répondre à cette interview !

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Chloé Chevalier

 

Depuis 2014, oui, à peu près. Mon cas est un peu particulier toutefois, puisqu’à côté de l’écriture de romans, je suis scénariste. Donc je vis de ma plume de scénariste. A l’issue de mon Master en cinéma, je me suis laissé un an à vivre du RSA et de petits jobs, en me laissant le maximum de temps pour écrire et voir si je pouvais décoller. J’ai eu beaucoup de chance puisque cette année-là, j’ai deux projets de scénario qui ont amorcé la machine.

 

Depuis 2014, je n’ai pas eu à faire un autre travail qu’écrire, mais ça reste très irrégulier et sans doute un peu inconfortable.

 

WAAD

 

Est-ce que vous avez l’impression que ça devient plus dur ? Évidemment, 2014 c’est récent…

 

Chloé Chevalier

 

Oui, c’est récent. J’ai eu une année dorée où tous mes projets marchaient bien, où j’obtenais les bourses que je demandais, etc. Depuis c’est une pente descendante douce. En cinéma tout est très long : les projets que tu écris vont mettre longtemps à naître, le temps de trouver les financements, etc. La plupart de mes projets ne sont pas encore tournés par exemple, et sont toujours en développement.

 

Enfin pour l’instant, ça va. On verra si j’arrive à retomber sur mes pattes d’ici la fin de l’année. Dans l’idéal, il faudrait que j’ai un gros projet, financé par bourse ou préacheté par une chaîne de télé…

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Chloé Chevalier

 

Je vois ce que c’est mais je ne sais pas si je suis passée par là ou pas… Il y a peut-être une phase au début où on se dit que c’est le hasard si l’on est arrivé là, mais au final ça passe. Ça fait onze ans que j’écris, je passe mon temps à travailler, je n’ai pas l’impression d’avoir volé ma place.

 

Après, il y a de temps en temps une petite culpabilité à travailler en se faisant plaisir. Je ne fais qu’écrire, c’est-à-dire que je ne fais que ce que j’aime (bon, cela dit je ne gagne pas grand-chose). Mais je suis en train de sortir de cette phase. Je n’ai juste pas l’impression d’endurer mon travail comme d’autres gens.

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Chloé Chevalier

 

On peut faire une gradation. Dire qu’on est auteur à partir du moment où on écrit, ça me semble un peu exagéré peut-être. Il me semble qu’on est auteur lorsqu’on fait lire suffisamment ce qu’on écrit, qu’on est prêt à discuter de son travail comme quelque chose de séparé de soi. Écrire en gardant pour soi, je ne suis pas sûr que ça suffise à être auteur.

 

Un professionnel de l’écriture, c’est probablement quelqu’un qui va être capable de mettre son écriture au service d’autres personnes. Je ne sais pas si en roman on peut être professionnel de l’écriture, en scénario en tout cas on peut. Si je sais écrire des scénarios, je sais faire du script doctoring, c’est-à-dire lire un scénario et conseiller.

 

WAAD

 

En ce moment, il y a un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous êtes concernée par ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ? (par exemple parce que vous ne considérez pas l’écriture comme un revenu)

 

Chloé Chevalier

 

Je ne suis pas du tout inscrite dans ces mouvement très honnêtement. Pourtant, c’est mon métier à plein temps, mais je suis assez peu au courant de mes droits, de ce qui se fait, de quelles sont les revendications…

 

En plus, depuis que je suis à Grenoble, je fais quand même moins de dédicaces, donc je parle moins aux autres auteurs et je suis un peu à l’écart de tous ces sujets.

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’autrice ?

 

Chloé Chevalier

 

Oui, bien sûr. Le fait d’avoir le sentiment d’être – et ça marche dans le cinéma aussi – parmi les personnes qui produisent la valeur artistique mais d’être le maillon bonus de la chaîne. On nous donne toujours l’impression, lorsqu’on se déplace en salon ou en librairie, qu’on nous invite pour nous faire plaisir, que si notre livre est édité, ce devrait déjà être suffisant. C’est un peu pénible parce qu’énormément de gens vivent de l’industrie du livre, sauf les auteurs. Lorsque l’argent circule, en salon par exemple, il n’est pas pour les auteurs. Il faudrait être juste content d’être là et abandonner toute prétention.

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ? J’imagine qu’avec vos autres métiers, vous n’avez pas trop le choix ?

 

Chloé Chevalier

 

Là je peux clairement distinguer scénario et roman.

 

En scénario, à la différence du roman, on n’est pas solitaire. On écrit forcément avec et pour d’autres gens. Le scénario est un outil pour la fabrication du film mais toute l’équipe va passer dessus pour l’annoter. Il faut donc prévoir des plages d’écriture et avoir un planning. Souvent, on va passer une semaine à fond dessus où ça va avancer très vite.

 

En roman, je suis beaucoup plus libre de mes horaires, mais comme ça fait un moment que je ne fais qu’écrire, j’ai fini par me mettre à un rythme de vie malgré tout plutôt stable. Se lever le matin, s’arrêter pour manger… Ce n’est pas aussi rigide que des horaires de bureau mais il y a quand même une certaine hygiène de vie qui m’aide à travailler et qui me permet de conserver une vie sociale. On peut très vite se couper du monde. Je m’en suis d’autant plus rendu compte en quittant Paris puisque plus rien ne me force à sortir. Je vais beaucoup travailler en bibliothèque.

 

WAAD

 

Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Chloé Chevalier

 

Je comprends l’opposition mais je suis les deux. Je crois qu’on est toujours l’un et l’autre successivement quand on écrit un roman. L’architecture vient avant, mais ensuite il faut peindre et décorer. En scénario, par contre, on est forcément architecte puisque l’habillage est apporté par le reste des intervenants (acteurs, réalisateur, costumiers, etc.).

 

WAAD

 

Si on s’intéresse à ta saga, et notamment à son écriture, on a une forme qui est très hybride, mélange d’épistolaire, de narration passée, de fragments, etc. Est-ce que ça suppose un travail différent ou est-ce que c’est une manière de laisser venir les mots ? Par ailleurs, par opposition au cinéma, beaucoup de ce que tu écris n’est pas montrable, un exutoire ?

 

Chloé Chevalier

 

Difficile à dire puisque je n’ai pas écrit de roman linéaire. Au fond, ce n’est que varier les supports et les tons, je doute que ça suppose un travail particulier.

 

Ensuite, il y a un plaisir à pouvoir enfin faire des choses qui ne soient pas visuelles. En études de cinéma, on nous dit toujours de ne rien écrire dans un scénario qui ne soit pas immédiatement visuel. Il ne faut pas dire qu’un personnage est triste mais décrire les éléments qui permettent de le voir. En scénario, on ne décrira pas les états intérieurs des personnages, on ne se plongera pas dans les sinuosités de l’esprit humain. Le roman permet ça et tant mieux parce que j’adore. Le scénario et le roman se complètent bien : le premier apporte la structure, le second la subtilité.

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Quels sont vos prochains projets ?

 

Chloé Chevalier

 

En roman, je suis dans le tome 4 du Demi-Loup. J’espère avoir fini le premier jet pour l’été prochain. Je ne lance pas d’autre projet de roman tant que je n’ai pas fini ça. Après, il y aura la bêta-lecture avec des collaborateurs de confiance dont je sais ce que chacun a à m’apporter. J’adore cette phase de travail où on peut faire des choix intéressants et où on taille le rocher brut.

 

Pour l’année qui vient, j’essaie aussi de ne pas lancer de nouveau projet de scénario. Je travaille sur un projet de long-métrage sur une prise d’otages en Syrie, en huis clos.

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