Plumorama

Plumorama : Nabil Ouali

Nabil Ouali est LA personne pour ouvrir cette avant-dernière semaine. Il développe des réflexions intéressantes sur le syndrome de l’imposteur et le statut de l’auteur et nous donne à voir une partie de son travail sous un angle différent. Merci encore à lui et à très vite !

 


 

What about a dragon ?

 

Bonjour Nabil Ouali !

 

Vous êtes auteur chez Mnémos d’une saga fantasy en cours : la Voix de l’Empereur, dans lequel lyrisme et politique se répondent admirablement dans une ambiance maîtrisée.

 

Merci d’avoir accepté de répondre à cette interview !

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Nabil Ouali

 

Non. Ça résume bien. (rires)

 

WAAD

 

Est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous le souhaiteriez ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.

 

Nabil Ouali

 

J’espère en vivre dans quelques années, c’est le rêve de tout jeune auteur je pense, et j’aimerais bien me donner les moyens d’y parvenir. Mais j’ai aussi conscience que c’est très peu vraisemblable.

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Nabil Ouali

 

Complètement.

 

C’est assez générationnel, je pense. Ça n’est pas propre qu’aux milieux artistiques ou créatifs. J’ai des amis en communication, en finance, etc. qui ont le sentiment, parce qu’ils sont juniors, d’avoir usurpé leur place dans la société. Je pense qu’un jour on aura le recul pour examiner vraiment quels sont les tenants et aboutissants de ce type de réflexe, mais je pense que c’est beaucoup plus profond qu’un simple manque de confiance en soi.

 

J’ai publié mon premier roman dans une maison avec une très bonne réputation et pourtant il m’arrive encore de me dire que je le dois à la chance. J’essaie de me ressaisir mais il y a toujours ce réflexe.

 

Par ailleurs, j’ai l’impression que c’est un sentiment qui se balade. Au début, j’avais du mal à dire que j’étais écrivain. Aujourd’hui c’est plutôt d’autres choses. Peut-être que je ne suis pas un vrai écrivain parce que je ne sais écrire que d’une seule manière ? Peut-être que je ne suis pas un vrai auteur parce que je n’écris pas assez vite ? On s’invente des impostures en fait.

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Nabil Ouali

 

Un auteur, pour moi, c’est un créateur. Mais, comme « artiste », il s’agit d’une qualité ponctuelle. J’ai du mal à considérer qu’on est un ou une artiste, je considère plutôt qu’on est artiste à un moment donné. Quand je cuisine, je ne me sens pas auteur. Je me sens auteur quand j’écris, quand je rencontre mes lecteurs ou quand j’ai un dialogue avec mon éditeur. C’est situationnel et circonstancié.

 

Concernant la professionnalisation, à partir du moment où tu essaies d’utiliser tes compétences pour en vivre, tu es professionnel. Quelqu’un qui écrirait extrêmement bien mais pour le plaisir, sans vocation à ce que ça impacte sa manière de vivre, ce n’est pas un professionnel pour moi. On est professionnel en intégrant un système économique, financier, communicationnel, etc.

 

Quand on pense à un artiste, on pense à la figure artistique telle qu’elle a été créée au fil de l’Histoire, par simplicité, parce que les puissants avaient besoin et envie de décorer leurs palais ou d’offrir des cadeaux diplomatiques. C’est le rayonnement culturel qui a conféré à l’artiste un statut alors qu’il intervenait de manière très ponctuelle. Je ne suis pas historien de l’art mais ça vaudrait le coup de poser la question de cette évolution.

 

WAAD

 

En ce moment, il y a un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous êtes concerné par ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloigné ? (par exemple parce que vous ne considérez pas l’écriture comme un revenu)

 

Nabil Ouali

 

Je suis assez en retrait. Pas par manque d’intérêt mais par manque de motivation, d’envie de m’investir et de connaissances. C’est sans doute dommage mais j’ai tendance à déléguer ces questions à des gens plus instruits et plus motivés.

 

Je relaie souvent des articles parce que ça nous concerne, mes pairs et moi, et je m’y reconnais. Plus le temps passe plus j’ai l’impression qu’on ne peut pas continuer avec le système actuel. Il ne fonctionne pas. C’est pernicieux, dommage et pervers. On arrive à des aberrations : pour moi les traducteurs sont des auteurs, et il me paraît inconcevable de les dénigrer, mais on m’a raconté qu’un éditeur étranger avait justifié la faiblesse des droits d’auteur sur le livre qu’il avait fait traduire en mettant en avant le fait qu’il faille payer le traducteur, ce qui est aberrant.

 

Je pense qu’il faut professionnaliser le métier.

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?

 

Nabil Ouali

 

Je ne le ressens pas de manière virulente. Pour ma part, j’ai la chance de bien très bien m’entendre avec mes éditeurs, il y a un rapport professionnel et je trouve ça très bien.

 

Évidemment, il y a des injustices : la question des droits, l’asymétrie dans le rapport éditeur-auteur, ce sont des injustices. Certaines choses sont absurdes comme l’impossibilité pour l’auteur d’accéder à ses états de vente. Comment l’auteur peut-il être privé à ce point d’une marge de connaissance ? D’autant que l’éditeur, qui peut lui fournir, est en situation de conflit d’intérêt puisqu’il n’y a pas intérêt. C’est indécent et je ne comprends pas pourquoi le législateur ne s’en est pas emparé.

 

Le traitement de l’imaginaire est une autre forme d’injustice. On a un snobisme à la française qui consiste à classer, catégoriser et genrer les ouvrages de manière artificielle, arbitraire et fragile. Jamais Balzac ne sera rangé avec le fantastique ou Homère avec la fantasy, ce qui prouve la futilité du procédé. On prive les auteurs contemporains des figures classiques des genres dans lesquels nous évoluons.

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?

 

Nabil Ouali

 

J’ai tendance à écrire le matin. Je sais que je ne peux pas écrire plus de trois ou quatre heures. Après, mes méninges fondent et je ne peux pas me concentrer. Je fais un travail de fourmi, de manière minutieuse, et pour chaque phrase je dois jongler entre les syllabes, les sonorités, etc.

 

Après, je n’ai pas de rituel mais j’ai toujours à portée de main un dictionnaire de synonymes et l’ensemble des noms de couleur existant (je déteste écrire juste bleu ou rouge).

 

WAAD

 

Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Nabil Ouali

 

Je suis entre les deux, comme en jeu de rôle. Je crée de grands axes, les endroits où je veux que l’intrigue aille pour réaliser les scènes-clés qui me donnent envie d’écrire le livre. Tout ce qui est entre ces axes répond à la logique et la cohérence et relie les points.

 

WAAD

 

Dans la Voix de l’Empereur, il y a un côté très lyrique dans l’écriture avec une réflexion sur les sonorités et les sens. D’où vient cette envie d’écrire en s’imposant une telle difficulté ?

 

Nabil Ouali

 

En fait, lorsque j’écris une scène, j’ai envie que ce que je décris s’accorde autant dans le signifiant que dans le signifié. A titre d’exemple, si je veux décrire une rivière ou un fleuve, je vais utiliser des allitérations en « l » pour que le texte coule.

 

La musique est fascinante pour ça, parce qu’elle fait naître et décrit des émotions sans signifiant, sans verbalisation. J’ai envie que la littérature puisse faire pareil, et que le lecteur soit triste autant parce qu’une scène est triste que parce qu’elle induit de la tristesse dans sa construction.

 

Peut-être qu’inconsciemment j’ai toujours voulu être musicien mais que je l’ai jamais été ?

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Quels sont vos prochains projets ?

 

Nabil Ouali

 

Concernant les projets, c’est bien sûr le tome 3 de la Voix de l’Empereur. Ensuite, j’ai un projet de prequel sur le même univers, dans lequel on suivra l’enfance d’un des personnages introduits dans le tome 2. Il s’agira d’un roman d’aventures.

 

J’ai un autre projet secret dont je ne peux pas parler et dont on entendra parler dans un an j’imagine.

 

Enfin, j’ai un projet Youtube aussi, mais pas en littérature, j’en dirai plus dans quelques temps !

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