Plumorama

Plumorama : Christelle Dabos

 
Christelle Dabos, les dragonautes, Christelle Dabos !
 
L’autrice qu’on ne présente plus nous fait l’insigne plaisir de se prêter au jeu du Plumorama, et en profite pour confesser… Enfin je ne vous en dis pas plus, vous verrez bien !
 
Merci infiniment à elle et à très vite !

 


 

What about a dragon ?

 

Bonjour Christelle Dabos !

 

Vous êtes l’autrice de la saga La Passe-Miroir, au succès que l’on connaît, une œuvre atypique dans le paysage de la fantasy francophone, oscillant entre fantasy de mœurs et roman d’aventure dans lequel Ophélie, une jeune femme dotée de capacités singulières, doit quitter son foyer confortable pour des épousailles forcées. Elle devra trouver sa place à la Citacielle, centre de tous les jeux de pouvoir de sa nouvelle Arche : le Pôle.

 

Vous nous faites le plaisir d’accepter cette interview Plumorama, et c’est un grand honneur pour nous.

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Christelle Dabos

 

Oui… pour le moment ! Avant d’être publiée, j’étais sans emploi et je dépendais financièrement de ma famille. À présent, mes ventes me permettent de couvrir seule mes courses et mes factures sur l’année, mais aussi de mettre de côté un petit pécule. Je suis toutefois incapable de me projeter à long terme. J’ai la chance que mes livres se vendent bien aujourd’hui, mais est-ce que ce sera toujours le cas ? Je n’ai aucune certitude.

 

WAAD

 

Est-ce que vous avez l’impression que c’est devenu plus dur ces dernières années ? Pour quelles raisons selon vous ?

 

Christelle Dabos

 

Je ne peux pas plus parler du passé que de l’avenir. Mon tome 1 ayant été publié courant 2013, je n’ai perçu mon premier vrai versement qu’en janvier 2015. Je manque donc à la fois d’expérience et de recul pour répondre à cette question.

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Christelle Dabos

 

Le changement dans ma vie a été si soudain et si profond à partir du moment où j’ai été publiée que j’ai longtemps ressenti – et je ressens encore parfois – de l’incrédulité. Il m’arrive d’éprouver comme une dissociation entre la façon dont les autres me perçoivent, moi et mes livres, et ma propre réalité. Pour autant, je ne pense pas que ce soit là un sentiment d’illégitimité. L’écriture est à la fois une passion et un travail qui se compte en centaines d’heures, qui réclame à la fois de la créativité et de la rigueur. Je ne dirai jamais de mes romans qu’ils sont parfaits, je ne les mettrai pas entre les mains d’un lecteur en disant « achetez, vous allez adorer ! » mais je n’en éprouve pas moins du respect pour le travail accompli, pour tout le processus qui a transformé une idée flottante en un projet abouti – que ce soit mon écriture, les relectures de mes proches, les corrections éditoriales, le travail de l’illustrateur et des maquettistes, etc.

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Christelle Dabos

 

Avant d’être publiée, je mettais mes chapitres en ligne sur le site Plume d’Argent, qui est à la fois une plateforme de fictions et une communauté littéraire. Il n’y a là-bas aucune vocation commerciale, ce n’est pas de l’édition au sens marketing du terme : on écrit, on s’entre-lit, on échange, on délire, on partage un même amour pour les mots et les histoires. Pourtant, il ne me viendrait pas à l’esprit de considérer ces membres autrement que comme des auteurs. Beaucoup ont pour moi l’étoffe d’être sur des étagères de bibliothèque. Ils sont à mes yeux l’essence même de ce que je voudrais incarner sur le plan professionnel. Un auteur qui veut s’améliorer encore et encore, quitte à se cogner la tête sur la table. Un auteur qui s’interroge, qui doute, qui se réjouit, qui apprend. Un auteur qui ne cherche pas à coller aux modes mais à se définir et redéfinir sans cesse. Et surtout un auteur qui respecte son lecteur, qui ne le considère pas comme un client mais comme LE destinataire qui donne tout son sens à l’acte de transmission. Pour moi, c’est cela être professionnel.

 

WAAD

 

En ce moment, il y a un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ?

 

Christelle Dabos

 

J’ai une pensée toute spéciale pour l’auteure Carole Trébor qui m’a sensibilisée très vite à ces sujets. Je me souviens quand j’ai fait l’un de mes premiers salons du livre et que j’y ai rencontré d’autres auteurs jeunesse, j’étais pleine de questions ! Carole m’a parlé des droits d’auteurs, des à-valoir, de toutes ces notions qui étaient alors si abstraites pour moi. Je me suis inscrite à la Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse et j’ai bénéficié de leurs conseils personnalisés quand j’ai dû négocier un nouveau contrat. Ils m’ont vraiment aidée à poser les bonnes questions à mon éditeur (rémunération, adaptations, traductions, numérisation, promotion, etc.), le but étant d’avoir la maîtrise de chaque étape de ces différents points. La Charte fournit aussi gratuitement une bonne documentation sur les autres acteurs du livre, notamment pour l’organisation des rencontres dans les écoles, les bibliothèques et les librairies. À mon tour, je m’efforce de sensibiliser les nouveaux auteurs en les orientant très vite sur la Charte !

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’autrice ?

 

Christelle Dabos

 

J’ai été plus souvent témoin d’injustices que je n’en ai été victime. Tel éditeur qui lâche un auteur parce que son dernier roman a été un échec commercial. Tel autre qui interdit formellement à son auteur de se faire représenter par un agent.

 

En ce qui me concerne, j’ai la chance de ne m’être jamais trouvée dans une position où je me suis sentie lésée. J’ai toujours pu dialoguer avec mon éditeur qui me respecte à la fois en tant qu’auteure et en tant que personne. Ses intérêts ne correspondent pas toujours avec les miens, mais ça ne nous empêche pas de trouver un compromis. Par exemple, les délais : mon éditeur voudrait minimiser les temps d’attente entre la parution de chaque tome alors que moi je veux prendre mon temps pour écrire l’histoire qui me tient à cœur. Malgré cette divergence, l’éditeur ne m’a jamais imposé d’échéance et je me suis, moi, engagée à le tenir informé de mes avancées à intervalles réguliers pour ne pas le laisser dans le brouillard.

 

S’il y a une question à laquelle je n’ai pas trouvé de réponse convaincante, et qui n’est pas propre à mon éditeur en particulier, c’est le décalage qui existe entre les droits d’auteur jeunesse et les droits d’auteur adulte. Comme beaucoup d’auteurs jeunesse, j’ai démarré à 6% : pour un auteur adulte, 10% est un minium. Ma série paraît désormais aussi en collection adulte, alors pourquoi cette différence pour moi comme pour les autres ?

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?

 

Christelle Dabos

 

Ma seule vraie exigence envers moi-même est d’avancer petit à petit. Je ne m’impose aucun quota de mots à écrire par jour, je dois être pleinement à ce que je fais, et si vraiment ça ne vient pas, je ne force pas. D’une certaine façon, j’apprécie la lenteur car c’est elle qui me permet de m’immerger dans l’ambiance d’une scène. Il y a différentes façons d’écrire en dehors du clavier. Parfois, les mots ne viennent pas parce qu’il me faut lire autre chose que mes propres textes. Parfois, ce sont les idées qui se grippent et il me sera impossible de reprendre l’écriture tant que je n’aurai pas dénoué le point scénaristique qui coince. Il m’arrive de devoir faire le point avec tel ou tel personnage, et lui dire « Bon, toi et moi, il faut qu’on cause, je ne te comprends plus. » Quand je traverse des périodes où l’écriture ralentit, s’arrête et ne démarre plus, ça se transforme vite en souffrance et quand je suis au plus mal, que je me tourne et retourne dans mon lit de frustration, je ne peux m’empêcher de penser que j’ai de la chance d’être habitée par une passion qui me tient à ce point à cœur.

 

WAAD

 

Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Christelle Dabos

 

Question vitale que voilà, en effet ! Elle soulève des débats passionnés, pour ne pas dire houleux, entre les « pro-plan » et les « anti-plan ». J’ai fait l’expérience des deux. J’ai eu ma période d’improvisation totale qui m’a fait goûter aux joies de la pure créativité et aux larmes de la réécriture complète. Franchement, je vénère les auteurs qui peuvent écrire une histoire sans savoir ce qui va se passer d’une étape à la suivante, sans même connaître le dénouement de leur récit, et qui ne produisent jamais aucune incohérence, aucune facilité, aucun couac. Je n’en fais pas partie. Mais je ne fais pas partie non plus des auteurs qui sont des planificateurs dans l’âme, qui savent à l’avance comment l’histoire et les personnages vont évoluer, sans jamais, jamais en dévier. Non, moi, je me trouve pile entre les deux. J’ai besoin de connaître les grandes étapes de mon récit, au moins à l’échelle d’un tome, mais j’ai besoin aussi de me laisser des zones d’ombre, des marges d’imprévu et s’il me vient soudain une idée particulièrement inspirante qui m’oblige à revoir tout mon plan… eh bien, elle l’emporte !

 

WAAD

 

Votre univers étonne par sa capacité à mêler enjeux existentiels (l’origine de la Déchirure) et intrigues très pragmatiques (les jeux de pouvoir dont je parlais plus haut). En tant qu’autrice, trouvez-vous un plaisir plus particulier à l’un qu’à l’autre ? Qu’est-ce qui vous fait écrire ?

 

Christelle Dabos

 

Il y a tellement d’intrigues dans la Passe-miroir, je m’arrache les cheveux quand on me demande de résumer l’histoire ! En un sens, je me demande si je n’écris pas par « paliers ». Quand j’écris un chapitre, par exemple, la première chose qui me vient sont les sensations immédiates : les jeux d’éclairage, les matières, les odeurs. J’aime ce palier. Ensuite, je creuse un peu et je me pose la question de l’action proprement dite, de l’intrigue en cours et plus elle est tarabiscotée, plus je me régale. J’aime ce palier aussi. Ensuite, je creuse encore un peu, je m’intéresse à ce qui passe au fond des personnages, à leurs émotions, leurs pensées, et j’essaie là encore de creuser un petit peu plus, à m’aventurer dans le domaine de ce qui est si difficile d’exprimer avec des mots. J’aime ce palier également. Et là, je creuse toujours plus, vers des questionnements plus existentiels, des interrogations de grande envergure, les racines mêmes du monde et des personnages. Et j’aime ce palier. Au final, je me demande : ai-je bien répondu à la question ?

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ?

 

Christelle Dabos

 

Il y a un aveu que je dois faire. Un mythe que je vais, que je dois briser, même si j’ai peur de bousculer beaucoup de croyances au sein de mon lectorat. C’est peut-être aujourd’hui le lieu et le moment pour le faire enfin.

 

Je ne sais pas tricoter les écharpes.

 

Merci à What About A Dragon de m’avoir donné la parole !

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