Plumorama

Plumorama : Ketty Steward

Photographie par Mélanie Fazi

 

Bonjour les dragonautes !
 
Ketty Steward a accepté de répondre à notre questionnaire et elle porte haut la voix des autrices et des auteurs.
 
Merci infiniment à elle et à très vite !

 


 

What about a dragon ?

 Bonjour Ketty Steward !
 
Vous êtes nouvelliste, romancière et poétesse, autrice de plusieurs textes de science-fiction, parmi lesquels on peut citer notamment Connexions interrompues, un recueil aux éditions Rivières blanche, et Alive, une nouvelle parue aux édition La Volte, dans l’anthologie Au bal des actifs : demain le travail. En parallèle, et outre votre profession de conseillère d’éducation, vous êtes également coprésidente du Syndicat des Écrivains de Langue Française qui a récemment interpellé les maisons d’édition sur les conditions de vie des auteurs.
 
Merci donc d’avoir accepté de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !
 
Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?
 

Ketty Steward

 Non. Mes maigres droits d’auteur ne paient pas mon loyer ni aucun des frais de la vie de tous les jours. Parfois un resto, pas trop cher, ou mes fournitures d’écriture, ramettes de papier, toner d’imprimante…
 

WAAD

 Est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous aimeriez bien ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.
 

Ketty Steward

 J’aimerais avoir plus de temps pour écrire, bien sûr, et le temps, ça se finance. Donc gagner plus avec le travail de création que représente l’écriture, forcément, j’y suis favorable.
 
Pour autant, si “vivre de sa plume” implique de n’avoir que l’écriture comme activité professionnelle, je suis moins tentée. J’ai grandi dans une forme d’insécurité matérielle et il me faut un minimum de sérénité pour écrire. Compte tenu du statut actuel des auteurs, si ma (sur)vie devait dépendre de cette seule activité, j’aurais du mal, sans doute, à l’exercer en toute liberté. Les critères de rentabilité ne recouvrent pas toujours les critères de qualité.
 
Mais j’imagine qu’avec les millions d’un best-seller, la question se poserait autrement.
 
Par ailleurs, mener plusieurs activités simultanément est le mode de vie que j’ai choisi, un équilibre qui me convient bien.
 

WAAD

 Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?
 

Ketty Steward

 Je n’ai pas l’impression que le concept soit nouveau. En psychologie il recouvre des notions plus précises que ne le veut l’usage courant, alors je préfère parler de doute ; celui qui peut s’avérer salutaire pour préserver l’humilité, un aiguillon pour toujours travailler, retravailler ses textes et se réinventer ; le doute dont l’autre facette est de constituer un frein : ne pas assez croire en soi et en ses propres capacités.
 
Je n’ai pas attendu d’avoir confiance en moi pour faire des choses. Je n’ai pas attendu la fin des doutes pour me jeter à l’eau, dans bien des domaines.
 
Je crois que c’est là l’essentiel. Faire des choses, prendre des risques, se tromper, recommencer, y arriver.
 
La reconnaissance des pairs, celle des éditeurs, des lecteurs, aide à gommer une part des doutes ou, au moins, à ne pas en tenir compte.
 

WAAD

 Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?
 

Ketty Steward

 L’auteur, c’est celui qui crée un texte. Que ce soit de l’invention, un essai, une traduction. On oublie souvent les traducteurs qui cotisent au régime des auteurs. J’imagine qu’à partir du moment où on est publié, une fois, deux fois, on est professionnel. Que ce soit à compte d’auteur ou à compte d’éditeur. Mais pourquoi cette question ? Est-il besoin de se sentir pro pour écrire ? Est-ce une fin en soi ?
 
J’ai d’abord écrit sans être publiée, sans même penser que je pourrais l’être. Écrire parce que j’aimais ça. Écrire parce que je cherchais à écrire… pourquoi ces étapes ne compteraient-elles pas ? 
 

WAAD

 En ce moment, il y a en France, et un peu partout en Europe, un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF dont vous êtes coprésidente, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes une défenderesse non intéressée ?
 

Ketty Steward

 En fait, je ne vois pas comment on peut rester indifférent à ces sujets : des gens travaillent  et permettent le fonctionnement de toute une filière, mais sont très souvent réduits à vivre sous le seuil de pauvreté. C’est préoccupant.
 
Au SELF, nous ne découvrons pas cette réalité ni les questions qu’elle soulève. C’est même notre raison d’être. La lettre ouverte (http://self-syndicat.fr/pas-dimaginaire-sans-auteurs-ni-autrices/) à laquelle vous faites référence s’adresse aux éditeurs d’Imaginaire qui ont convoqué des «États généraux» d’un milieu dont nous, auteurs et autrices représentons le tiers état.
 
Le contexte actuel en France est celui d’une dégradation progressive des conditions de vie des écrivains. Je vous renvoie à cet article du blog de l’ours danseur https://loursdanseur.redux.online/aujourdhui-a-poil-demain-au-fond-du-trou/
 
Nous avons aussi diffusé un courrier type à utiliser pour interpeller son député sur les effets de la hausse de la CSG sur le portefeuille des auteurs (http://self-syndicat.fr/traitement-inequitable-des-artistes-auteurs-dans-la-reforme-du-financement-de-la-securite-sociale/) ainsi qu’une pétition (http://self-syndicat.fr/communication-de-la-sgdl-non-a-lappauvrissement-des-artistes-et-auteurs/)
 
On est loin de l’image d’Épinal de l’auteur coupé du monde et détaché des contingences matérielles.
 
Mais c’est un fait : quand on est mort, on écrit moins bien.
 

WAAD

 Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?
 

Ketty Steward

 Personnellement ? Je ne crois pas. Pas plus qu’en tant que femme noire. (Et par rapport à qui ?)
 
Ce qui me surprend désagréablement, c’est la persistance de stéréotypes opposés sur les auteurs, tantôt rêvés comme poètes maudits, crève-la-faim volontaires, tantôt fantasmés en privilégiés, se payant le luxe d’une activité fascinante, que tant d’autres auraient voulu exercer.
 

WAAD

 Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?
 

Ketty Steward

 Je ne me positionne pas. Généralement, c’est le texte que je veux écrire qui dicte une approche plutôt qu’une autre. Je dois être une “bricoleuse” (ça c’est de moi !).
 

WAAD

 Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ?
 

Ketty Steward

 Je m’invente des histoires, quelquefois. Dernièrement, je me racontais cette métaphore de la place de l’auteur dans la chaîne du livre.
 
C’est l’histoire d’une personne se rend à une fête et fait un gâteau qu’elle place sur une assiette. Elle arrive non loin du lieu de la fête et rencontre un type en costume qui lui dit : confie-le-moi, je vais t’aider à avoir ta place dans cette fête. Tope là ! Le type découpe le gâteau en plusieurs tranches et guide son nouvel ami vers l’entrée. Il donne une tranche à quelqu’un dont le travail consiste à mettre un glaçage sur le gâteau. Il donne une tranche de gâteau à l’ouvreur. Puis il en donne une à la personne du vestiaire. Enfin, ils arrivent dans un salon. Tout le monde semble les attendre :
 
“Apportez le gâteau, on va pouvoir commencer la fête”.
 
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les convives se jettent sur ce qu’il reste du gâteau.
 
Le type en costume tend alors l’assiette à son propriétaire qui s’aperçoit qu’il ne reste que des miettes. La personne dit : “Oh ! C’est pas cool. Pourquoi est-ce que je n’ai que des miettes ?”
 
Le type en costume le regarde tristement et lui dit : “Tu me déçois. Je t’ai fait entrer dans la fête. Estime-toi heureux d’avoir des miettes. Et toi, ingrat, tu en voudrais davantage ?”
 

WAAD

 On ne peut s’empêcher de penser au phénomène des vases communicants. Si je reprends votre métaphore du gâteau, il conviendrait de réduire une ou plusieurs parts pour que celle du cuisinier soit plus grosse (voire existe). Or, si on écoute les différents maillons de la chaîne aujourd’hui, tous (ou presque) déclarent affronter une situation difficile. Quelles sont les pistes de réflexion actuelles ?
 

Ketty Steward

 Tous les maillons de la chaîne du livre se plaignent d’une situation difficile, soit, mais tous n’en meurent pas. Regardez la taille de la liste des bouquins de la rentrée littéraire !
 
Je pense qu’il faudrait arriver à une répartition plus juste des efforts et des rémunérations.
 C’est  ce que nous tentons de faire au sein du SELF. Dans un premier temps en informant nos adhérents quant à leurs droits dans le système actuel, bien imparfait. Parfois, dans l’euphorie de l’acceptation d’un manuscrit, on peut être amené à accepter des conditions honteuses, sans oser négocier.
 Ensuite, nous collectons des «contrats alternatifs». Ce sont des contrats qui proposent une durée réduite de cession de certains droits et des conditions qui s’écartent du contrat type.
 
Enfin, en plus de la défense au cas par cas des adhérents en litige, nous tâchons de peser, avec les autres organisations d’auteurs sur les décisions susceptibles d’affecter le métier.
 
C’est le sens de nos prises de position récentes, évoquées dans une question précédente.
 
Concernant l’imaginaire, qui est un milieu plutôt modeste, nous espérons sensibiliser les éditeurs au fait que de meilleures conditions pour les auteurs sont, outre l’aspect humain, un facteur de productivité et d’attractivité pour nos genres.
 

WAAD

  Merci à vous en tout cas !

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