Plumorama

Plumorama : Romain d’Huissier

 
Salut les dragonautes !

 

Avec la fin du Kickstarter Time of Legends : Joan of Arc, sur lequel il a travaillé, Romain d’Huissier aurait pu décliner notre offre mais il a très gentiment accepté de répondre à nos questions pour le Plumorama. Merci à lui et à très vite !

 


 

What about a dragon ?

 

Bonjour Romain d’Huissier !

 

Vous êtes l’auteur des Chroniques de l’Étrange aux éditions Critic, une plongée dans un Hong Kong où les néons ne parviennent pas à cacher le mysticisme affleurant et où le pulp n’est jamais très loin.

 

Merci donc d’avoir accepté de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Romain d’Huissier

 

Hélas non ! J’ai un emploi salarié à côté, qui me rapporte les revenus nécessaires pour vivre. L’écriture est – de ce point de vue – un à-côté qui me rapporte de façon erratique un peu d’argent supplémentaire. Mais clairement pas assez pour laisser tomber mon travail quotidien…

 

WAAD

 

Si non, est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous aimeriez bien ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.

 

Romain d’Huissier

 

Alors oui, vivre de ma plume est une sorte de rêve, d’objectif fantasmé. Mais en l’état actuel du marché dans lequel j’évolue (les littératures de l’imaginaire mais aussi le jeu de rôle), cela semble une chimère impossible à atteindre.

 

Je m’efforce d’y tendre mais je joue la sécurité grâce à mon emploi salarié.

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Romain d’Huissier

 

Ah bien sûr ! Je pense qu’on l’éprouve tous à un plus ou moins grand niveau.

 

Pour ma part, le fait d’être venu à la littérature assez tard y participe grandement. Quand je côtoie d’autres auteurs en salon, que je lis leurs blogs, etc. : j’ai l’impression qu’ils sont tellement sûrs d’eux, talentueux et travailleurs… alors que j’en suis encore à tâtonner, à essayer de me construire un style, un univers voire une petite réputation. Malgré les compliments ou les bonnes critiques, il n’est pas facile de se sentir légitime. En tout cas, c’est quelque chose que je vis trop intensément : c’est un sentiment assez négatif au final, qui mine la confiance et finit par nuire à l’écriture. Je travaille à m’en défaire mais ce n’est pas évident.

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Romain d’Huissier

 

Difficile de répondre à la première question. Disons qu’un auteur est de toute façon quelqu’un qui crée, quel que soit son niveau de notoriété ou de reconnaissance. Tant que l’on éprouve ce besoin d’écrire, de partager son univers et ses histoires : on est un auteur.

 

Ensuite, c’est plus simple. Stricto sensu, un auteur professionnel est un auteur qui est payé pour son travail. Vous êtes édité, avec un contrat, et vous touchez des droits : vous êtes professionnel. Par contre, le phénomène de l’autoédition tend à brouiller les limites. C’est un milieu que je connais peu donc je ne peux guère en parler plus avant…

 

WAAD

 

En ce moment, il y a en France, et un peu partout en Europe, un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloigné ? Vous aviez évoqué ces questions sur votre blog, donc j’imagine partiellement la réponse.

 

Romain d’Huissier

 

Cela m’intéresse, bien sûr ! C’est important. Il faut que les auteurs puissent gagner une reconnaissance en rapport avec les efforts qu’ils investissent dans leur travail de création. Sinon, on risque d’en voir de plus en plus abandonner l’écriture et seules les têtes de gondole subsisteront. La littérature en souffrirait, du fait du manque de choix sur les rayons des libraires – avec comme corollaire un non-renouvellement des thèmes, une certaine uniformisation…

 

Je pense qu’une certaine transparence est nécessaire à ce niveau. Que les auteurs n’aient pas le tabou de ne pas communiquer sur leur rémunération. Il faut pouvoir donner une idée claire du marché en multipliant les témoignages à ce sujet – brosser un tableau le plus complet possible. Afin non seulement d’améliorer la communication entre auteurs mais pour donner une idée à ceux qui veulent se lancer de la réalité du terrain – et donc de la nécessité de le changer pour un mieux.

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?

 

Romain d’Huissier

 

Je pense que l’un des sentiments d’injustice le plus partagé par les auteurs est celui de constater que tous les acteurs de la chaîne du livre gagnent leur vie – sauf l’auteur lui-même, qui est pourtant à l’origine de tout. Diffuseurs, libraires, imprimeurs… Il s’agit d’entreprises qui doivent recevoir suffisamment d’argent pour rester pérennes – ce qui se comprend, bien sûr – et qui ajustent donc leurs prix et conditions en conséquence. Évidemment, on ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac : entre la petite librairie indépendante qui défend les livres qu’elle vend et l’Espace Culturel du Leclerc d’à côté, il y a un univers… Je mets aussi à part les éditeurs – surtout dans le domaine des littératures de l’imaginaire – car ils sont des partenaires pour les auteurs, ils prennent des risques et s’avèrent parfois fragiles. En témoigne la disparition récente de certains de ces acteurs du milieu…

 

Une autre injustice perçue, en tant qu’auteur œuvrant dans le domaine de l’imaginaire, c’est bien entendu le manque de reconnaissance de ces « mauvais genres » en France – considérés bien souvent comme de la sous-littérature par des personnes qui ont oublié que le premier Prix Goncourt fut obtenu par un ouvrage de science-fiction… Peu de médias à forte audience parlent de nous et dans les grosses « enseignes culturelles », nos livres ne bénéficient que de peu de temps d’exposition sur les rayons, d’une mise en valeur minimale.

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?

 

Romain d’Huissier

 

J’essaie d’instaurer une atmosphère propice : tranquillement installé à mon bureau, une musique de fond adaptée, mes références à portée de main… Quand je suis lancé dans un projet, j’essaie de m’imprégner de sources d’inspiration : je lis des livres (romans, essais…) en rapport avec le thème, je regarde des films ou documentaires qui y sont liés, etc. Afin que même quand je n’écris pas, je continue à baigner dans l’ambiance.

 

Pour les horaires, c’est comme pour beaucoup d’auteurs ne vivant pas de leur plume : quand je peux ! Souvent le weekend ou en fin d’après-midi… Par contre, quand je suis lancé, j’essaie de me fixer une certaine régularité – pas de gros hiatus ou de pause trop longue, de peur de perdre le fil ou d’oublier des détails.

 

WAAD

 

Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Romain d’Huissier

 

J’ai une grosse tendance architecte. J’ai besoin de faire un plan chapitre par chapitre de mon roman, d’en connaître le début et la fin – ainsi que tout le déroulé qui mène de l’un à l’autre.

 

Cela ne veut pas dire pour autant que je m’interdise d’improviser : je ne fige pas tout dans le marbre, j’ai surtout besoin d’un guide pour ne pas me perdre en chemin. Mais les personnages peuvent parfois évoluer de façon imprévue ou de nouvelles idées émerger au fil de la plume. Dans ce cas, j’adapte, j’aménage mais sans pour autant bouleverser totalement le plan de départ.

 

WAAD

 

Le tome 2 des Chroniques de l’Étrange est sorti l’an dernier. Vous y étoffez la mythologie déjà marquante dans votre premier volet… Le lecteur avide veut savoir : jusqu’où s’étendent les bas-fonds divins d’Hong Kong dans votre univers ?

 

Romain d’Huissier

 

Assez profondément, si les lecteurs se souviennent de la Grande Tisseuse ou de l’antre du Roi-Dragon ! Disons que l’avantage de jouer avec un folklore comme celui de la Chine, c’est que celui-ci n’est pas périmé car la religion populaire chinoise n’a jamais été étouffée par un monothéisme quelconque. De fait, le taoïsme et ses multiples dérivés (comme le fengshui ou la divination) ont toujours pignon sur rue. Quant au bouddhisme, il est aussi très présent avec des moines et des temples. Les habitants de Hong Kong baignent dans ce monde mystique – je me contente de le rendre plus réel et concret, de le moderniser pour coller à l’autre facette de la ville : l’hyper modernité, le regard tourné vers l’avenir.

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Un tome 3 à venir par exemple ?

 

Romain d’Huissier

 

Mon actualité du moment est la sortie, début novembre, d’un jeu de rôle : Mythic Battles: Pantheon, tiré d’un jeu de figurines ayant eu un très gros succès sur Kickstarter. C’est Black Book Éditions qui le publie et j’en suis vraiment très fier.

 

Et par la suite, évidemment le tome 3 des Chroniques de l’Étrange : les Gardiens Célestes. Il conclura les aventures de Johnny Kwan en bouclant la saga – toujours dans la collection luxueuse chez Critic, sous une couverture de Xavier Colette. Tout cela devrait sortir l’an prochain.

 

Et merci à vous !

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