Plumorama

Plumorama : Nadia Coste

 
Salut les dragonautes !

 

Le retour à la réalité post-Utopiales est un peu brutal, mais impossible de ne pas vous partager une nouvelle interview, cette fois-ci de Nadia Coste, au sujet de la vie d’auteur.

 

Merci à elle et à très bientôt !

 


 

What about a dragon ?

 

Bonjour Nadia Coste !

 

Autrice prolifique de romans pour la jeunesse, vos derniers romans L’Effet ricochet et les Elémentaires partagent les thèmes de l’émancipation, des injustices, et, bien sûr, de l’aventure.

 

Merci donc d’avoir accepté de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !

 

Nadia Coste

 

C’est un plaisir pour moi ! Merci de m’avoir invitée !

 

WAAD

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Nadia Coste

 

Non. Il n’y a que 10% des auteurs qui peuvent vivre de leurs revenus d’écriture. Je fais partie des 90% qui ont un travail à côté ! Même si j’ai pu passer à temps partiel l’année où « Ascenseur pour le Futur » a été en compétition pour le Prix des Incorruptibles.

 

WAAD

 

Si non, est-ce que vous l’envisagez ou l’avez envisagé ? Est-ce que vous aimeriez bien ? Parce que j’ai l’impression que la réponse à cette question altère beaucoup le rapport qu’un auteur peut avoir par rapport à ces thématiques.

 

Nadia Coste

 

J’aimerais beaucoup avoir plus de temps à consacrer à l’écriture et, si l’argent n’était pas un problème, oui, je l’envisagerais sérieusement !

 

À vrai dire, je me pose des questions : à quel moment peut-on considérer vivre de sa plume ? Si moi j’en vis, mais que je ne peux pas faire vivre ma famille (j’ai trois enfants, ça compte dans le calcul) dans quelle catégorie me placer ?

 

En fait, je pense que l’idéal, c’est un mi-temps : une source de revenu fixe qui empêche de stresser façon « il faut que mon prochain bouquin plaise à l’éditeur, et que les lecteurs l’achètent en masse, sinon je ne peux pas manger », mais du temps pour avancer dans ses projets, faire des salons, rencontrer les lecteurs… sans s’épuiser à vouloir tout faire.

 

C’est ce que je pense aujourd’hui pour mon cas personnel, mais je changerai peut-être d’avis avec le temps !

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Nadia Coste

 

Bien sûr ! Je pense qu’on en est tous victime à un moment où à un autre ! C’est normal.

 

Le plus flagrant, c’est juste avant une table ronde dans un salon : on se dit « oh là là, ça va se voir, je n’y connais rien ! » et en fait, le moment venu, on répond des trucs plutôt intelligents parce qu’on a travaillé son sujet pendant des mois, et qu’on écrit sur ce qui nous touche…

 

Pour moi qui n’ai commencé à lire qu’à 18 ans et qui était plutôt nulle en orthographe à l’école, ce syndrome de l’imposteur, je l’ai encore lors des dédicaces où j’ai peur de faire des fautes !

 

Mais, si tout va bien, on a les retours des lecteurs qui ont été touchés par l’histoire, et là, on sait qu’on est légitime dans ce métier… ou on relit un passage quelques années après et on se dit « wahou, c’est moi qui ai écrit ça ? C’est vachement bien, en fait ! ».

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Nadia Coste

 

Un auteur est quelqu’un qui raconte, qui crée (une histoire, en l’occurrence).

 

Pour être professionnel… il faut signer un contrat ! Mais, avant ça, se comporter en professionnel : travailler (c’est-à-dire corriger, faire des recherches s’il le faut…), ne pas harceler les éditeurs pour avoir des réponses, trouver son rythme d’écriture (que ce soit un peu tous les jours, ou des cessions par périodes en fonction de la disponibilité, peu importe, ce n’est pas ça qui détermine qui est pro ou pas !), négocier ses contrats, ne pas tout accepter en bloc (mais ne pas tout refuser en bloc non plus).

 

Globalement, c’est la même différence entre sportif amateur et professionnel. Ou comédien amateur et professionnel. Les amateurs se font plaisir et, même s’ils sont talentueux et prennent sur le temps et leur énergie, ça reste un loisir. Les professionnels se font plaisir… mais ils gagnent de l’argent aussi ! Ça devient alors un véritable travail, avec les contraintes et les obligations qu’un amateur n’aura pas.

 

WAAD

 

En ce moment, il y a un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ? (par exemple parce que vous ne considérez pas l’écriture comme un revenu). Évidemment, le fait que vous fassiez partie de la Charte n’est pas neutre.

 

Nadia Coste

 

Oui, je suis effectivement inscrite à la Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse, ce qui fait que je suis les actions en cours. Je ne suis pas une militante active pour plein de raisons, mais j’essaye d’ajouter ma voix au besoin.

 

J’essaye d’expliquer, à mon petit niveau, qu’être auteur/autrice est un véritable travail (même s’il ne fait pas manger) et qu’il est simplement normal de rémunérer quelqu’un pour son travail. (Connaissez-vous l’excellent tumblr « Mon maçon était illustrateur » ? http://monmacon.tumblr.com/)

 

La part de l’auteur sur la vente d’un livre est faible (rappelez-vous cette image très claire utilisée par la Charte : si le livre était une pizza, l’auteur gagnerait les olives !), c’est un fait. Je n’ai aucun problème à ce que mon travail fasse vivre toute la chaîne du livre… du moment que la part qui me revient me rémunère aussi de façon juste !

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?

 

Nadia Coste

 

Deux exemples me viennent en tête :

 

* La fois où l’Etat a eu envie de passer la TVA sur le livre à 19.6%. Je suis solidaire de mon pays, et contente de payer des impôts pour que des services publics existent, mais quand même l’Etat touche plus que moi sur mon travail (alors qu’objectivement, il n’a pas travaillé comme un éditeur, un imprimeur, un distributeur ou un libraire l’a fait), là, je trouve effectivement que c’est injuste.

 

Ou alors, on part du principe que les auteurs devraient toucher 20% minimum dans ce cas !

 

Enfin, ça n’a pas duré longtemps, puisque la TVA est de nouveau à 5.5%, mais, quand même.

 

* L’injustice qui existe entre auteurs jeunesse et auteurs « vieillesse » : le pourcentage de base, minimum est, en jeunesse de 6 % (même si on peut vous proposer moins, hélas, essayez de ne rien signer en dessous), alors qu’en adulte, c’est 10 %. Pourquoi ? Parce que, historiquement, les romans jeunesse sont associés à des enseignants qui écrivent (et ont un « vrai » métier à côté) ou des mères de famille qui s’occupent (elles auraient pu faire du tricot…)… avec ce mépris qui reste malgré les années, façon « écrire pour les enfants, c’est facile ».

 

Je suis désolée, mais les enfants ne laissent rien passer ! La moindre incohérence sera aussitôt repérée, et s’ils ne sont pas embarqués, ils lâcheront le bouquin en décrétant que c’est nul (ce qu’ils ne manqueront pas de vous dire en salon, sans filtre, là où un adulte aura la politesse de botter en touche s’il n’a pas aimé). Donc, non, écrire pour les enfants, ce n’est pas plus facile qu’écrire pour les adultes. Mais les habitudes ont la vie dure, et les inégalités de rémunération sont toujours là…

 

« Oui, mais vous, les auteurs jeunesse, vous pouvez faire des rencontres scolaires (rémunérées) pour compenser financièrement ! » me dit-on parfois. Oui. C’est vrai. Mais ce n’est pas le cas de tous les auteurs (pour des questions géographiques, par exemple). Pas pour tous les bouquins. Certains ne sont pas à l’aise face aux classes. Et, honnêtement, parler de ses livres, c’est encore un autre métier qu’en écrire !

 

Bref, pour moi, ça ne devrait pas entrer en compte et les pourcentages devraient être les mêmes, quel que soit l’âge du lecteur.

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?

 

Nadia Coste

 

J’ai commencé en amateur, comme un loisir… et puis, un jour, quand j’ai décidé de devenir professionnelle, je me suis effectivement fixé des horaires !

 

Je travaille donc tous les jours entre 21h et 23h (que ce soit des recherches, de l’écriture pure, des corrections ou de la paperasse administrative). Je m’accorde au moins un soir de relâche par semaine (histoire d’avoir une vie sociale).

 

J’ai pu passer à temps partiel (80%) à mon « autre » travail, ce qui fait que j’ai une journée par semaine pour l’écriture. Soit j’écris (de 9h à 11h et de 14h à 16h en plus de la plage horaire du soir au besoin), soit je me déplace dans des classes, ou en salon.

 

WAAD

 

Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Nadia Coste

 

Je suis clairement architecte, depuis toujours. Je fais au moins un plan détaillé, chapitre par chapitre, pour chacun de mes romans. Ensuite, selon l’histoire, je vais développer plus ou moins (j’ai utilisé la méthode flocon pour certains romans jeunesse, j’ai testé les conseils de John Truby pour un autre…).

 

Je ne me lance pas dans la rédaction tant que je ne connais pas la fin de l’histoire… mais je peux dériver du plan (un peu) si je trouve une idée géniale en cours de route.

 

J’ai tendance à dire que je prépare le plan de ma maison en détail, mais je peux changer le papier peint ou la couleur des rideaux avant la remise des clefs !

 

Ah, et j’ai gagné beaucoup de temps depuis que j’applique la structure en trois actes (que ce soit en préparation, ou en correction pour comprendre pourquoi quelque chose ne fonctionne pas).

 

Il y a quelques années, je faisais beaucoup de versions d’un même roman (il y a eu huit versions mon premier roman avant qu’il trouve son éditeur). Maintenant, je tourne autour de trois versions maximum, et il m’arrive très peu de devoir réécrire entièrement le roman.

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Je crois avoir lu que vos projets en cours étaient légion ? Est-ce que vous travaillez toujours sur plusieurs projets en même temps ?

 

Nadia Coste

 

Oui, j’ai beaucoup d’histoires dans la tête et je suis plus sereine avec deux romans d’avance (pas l’angoisse de « qu’est-ce que je vais écrire maintenant ? »). Du coup, je fonctionne en plusieurs temps, en mettant de côté une histoire (par exemple, après son premier jet) pour travailler sur une autre. Quand je reprends la première histoire, j’ai un œil neuf pour les corrections (que je n’aurais pas eu si j’avais voulu corriger le premier jet dans la foulée de l’écriture).

 

Ce qui fait que j’ai quatre ou cinq romans en parallèle, soit dans des phases de recherche, préparation, premier jet, correction, V2, V3 après passage des bêta-lecteurs, corrections éditoriales…

 

Ça demande un peu de gymnastique mentale pour passer d’une histoire à l’autre, ou pour retrouver la « voix » des personnages, mais ça évite cette attente horrible quand on a envoyé le roman à l’éditeur (et qu’on attend sa réponse) ou à ses bêta-lecteurs (et qu’on attend leur verdict pour voir si ça fonctionne).

 

Sinon, que vous dire ? Ben, un peu de pub pour mes prochains romans, forcément !

 

En 2018, ils seront trois : « Papa de Papier » en janvier, aux éditions Syros (maltraitance et dessins qui deviennent réels à destination des 8-12 ans environ), « Ma pire semaine de vacances » en avril aux éditions Castelmore (qui changera peut-être de titre d’ici là ! C’est une histoire de cousines et d’insectes mutants à partir de 10 ans !), et enfin « Poumon Vert », aux éditions du Seuil (une histoire d’amour et de deuil, sur un fond écologique, dans le futur, pour ado et plus !).

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