Plumorama

Plumorama : Estelle Faye

Photographie ActuSF

 
Nouvelle semaine, et suite du Plumorama (qui arrive tout de même à son terme). J’ai retrouvé Estelle Faye aux Utopiales avec qui nous avons pu discuter avec passion du rôle des artistes, de la vie d’auteurs et de ses projets du moment. Un vrai moment de partage pour lequel je la remercie !

 


 

What about a dragon ?

 

Bonjour Estelle Faye !

 

Autrice de talent, à l’origine de romans riches et bouleversants : Un éclat de givre et Porcelaine aux Moutons électriques, les Seigneurs de Bohen aux éditions Critic et la série de la Voie des oracles chez Scrinéo. Merci d’avoir accepté cette interview !

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Estelle Faye

 

De plus en plus ! (en partie parce que j’ai des ambitions économiques très modestes et un train de vie qui l’est tout autant.)

 

En cumulant avec mon activité de scénariste et les ateliers d’écriture, cela équivaut à un mi-temps, peut-être un peu plus. Après, je passe beaucoup plus d’un mi-temps à écrire, il faut être honnête.

 

WAAD

 

Est-ce que vous avez l’impression que cela devient plus difficile ?

 

Estelle Faye

 

J’ai eu la chance de rencontrer tout de suite les bonnes personnes. Suite à ma deuxième nouvelle, Xavier Mauméjean m’a fait écrire mes premiers romans, et grâce à lui j’ai pu rencontrer d’autres personnes qui m’ont aidée à leur tour. Je sais que je peux toujours lui demander conseil, et je continue d’ailleurs à le faire.

 

Si je devais donner un conseil à un auteur qui voudrait mieux gagner sa vie, ce serait de ne pas avoir d’idées préconçues sur ce que l’on peut écrire. On m’a récemment proposé d’écrire pour de la petite jeunesse et j’ai accepté d’essayer. Je ne me suis pas mis de freins en considérant que c’était au-dessus de moi, ou que ce n’était pas ma voie. Lorsqu’on me propose une aventure – payée, dans ce cas– je tente.

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Estelle Faye

 

Je suis une énorme traqueuse.

 

Comme j’ai eu la chance de ne pas essuyer des dizaines de refus sur des romans écrits dès l’adolescence, je ne me sens pas toujours légitime sur beaucoup de sujets. Cela étant, des auteurs avec trente ans de carrière continuent à se sentir illégitimes, ce qui aide à relativiser et à rester humble.

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Estelle Faye

 

Un auteur est quelqu’un qui raconte des histoires. C’est comme ça que je qualifierais mon métier principal depuis quasiment toujours. Dans le théâtre, d’où je viens, le scénario, et les romans, je raconte des histoires.

 

Se mettre dans une optique professionnelle, c’est essayer de payer de plus en plus ses factures, sa nourriture et ses bottes pour l’hiver avec l’écriture.

 

WAAD

 

En ce moment, il y a en France un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous êtes concernée par ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ? (par exemple parce que vous ne considérez pas l’écriture comme un revenu)

 

Estelle Faye

 

Samantha Bailly fait un super boulot. Pour ma part, je ne me sens pas aussi légitime qu’elle, et de loin, mais je suis adhérente à la Charte. Il faut soutenir celles et ceux qui vont discuter avec les grands groupes, être très nombreux dans les associations d’auteur.

 

Je lance un appel à ce titre : si vous êtes auteur, et même si vous n’avez pas le temps de beaucoup vous investir, renseignez-vous; intégrez ces associations, venez grossir les rangs !

 

De même, je dois à Marie Pavlenko cette prise de conscience : auteurs, même lorsque vous n’envisagez pas de gagner votre vie avec l’écriture, négociez vos contrats. Accepter des conditions abominables, c’est permettre à l’éditeur de les imposer à d’autres. On ne négocie jamais uniquement pour soi, on négocie pour l’ensemble de la profession, pour les gens qui paient les cartables et les repas de leurs mômes avec l’écriture. On ne peut pas blaguer avec ça.

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’autrice ?

 

Estelle Faye

 

Sur certains points, être une femme n’est pas un avantage.

 

Quand j’ai eu le coup de cœur des Imaginales, plusieurs auteurs m’avaient dit que j’aurai des propositions de travail ensuite. A l’époque, j’avais écrit plus de romans adultes que de romans jeunesse, et je n’ai eu que des propositions en jeunesse. Quand on est une femme, on va être très vite cataloguée. J’aime beaucoup la littérature jeunesse, c’est une vraie littérature, absolument passionnante. Mais lorsque je fais des romans adultes, on me prend parfois moins au sérieux parce que je suis également autrice jeunesse, on lit mes romans adultes sous ce prisme. C’est un cercle vicieux.

 

De la même façon, dès que des personnages se mettent en couple dans un de mes romans, pour certains critiques je fais de la romance. J’ai moins de couple dans mes livres que dans Le trône de fer, et je n’ai pas l’impression que Martin fasse de la romance ?

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ?

 

Estelle Faye

 

Je suis camée à l’écriture. J’ai l’impression de toujours manquer de temps donc j’écris dès que je peux.

 

Concernant le rythme, j’écris surtout la nuit. C’est là que je me sens le mieux, sans sollicitations extérieures.

 

J’essaie aussi de me dégager des journées entières voire des semaines où je ne pourrais faire qu’écrire. C’est là où je suis la plus productive.

 

WAAD

 

Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Estelle Faye

 

Je fais des synopsis et je prends énormément de notes avant d’écrire pour pouvoir ensuite me laisser guider. Lorsque j’écris, je découvre mon histoire, je redécouvre mes personnages. L’écriture est une expérience. Mes romans changement parfois entièrement pendant que je les écris.

 

WAAD

 

Dans vos romans, une place particulière est occupée par l’art sous toutes ses formes. Pourquoi parler de l’art dans l’art ?

 


Estelle Faye

 

Je viens du monde du théâtre. Même si j’ai dérivé depuis, je pense que cela ne me quittera jamais.

 

Je suis fascinée par toutes les formes d’expression, tous les langages qu’on peut avoir, tous les masques qui nous permettent d’être plus nous-mêmes lorsqu’on les revêt. Ce sont cette sincérité et cette transcendance qui m’intéressent.

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Quels sont vos prochains projets ?

 


Estelle Faye

 

Je termine mon premier space-opéra ! C’est la grande aventure, on crée des étoiles, des planètes… C’est un roman proche du roman d’aventure, un peu pulp, écrit à la manière d’un roman maritime. Un roman beaucoup moins sombre que les Seigneurs de Bohen finalement, où un duo improbable naît entre une guerrière sur le déclin et une serveuse de bar country, et où la liberté est au centre de l’intrigue.

 

Dans l’imaginaire, il y a aujourd’hui une vraie volonté de faire bouger les choses ensemble. Pour moi, les littératures de l’imaginaire portent une part d’universel. Elles créent des liens et des ponts entre les êtres. Elles forcent à sortir de son confort pour se demander comment pensent un cyborg ou un barbare du Vème siècle.

 

Dans le monde actuel, nous avons décidé d’avancer ensemble, et c’est suffisamment rare pour être signalé.

 

Pas juste rare : précieux.

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