Plumorama

Plumorama : Lionel Davoust

Photographie par Mélanie Fazi

 

Ce jour devait arriver… Le jour où Lionel Davoust, insigne auteur et astrologue, répond à nos questions du Plumorama et nous offre dans un entretien passionnant *sa* vision de l’écriture (en tout cas sur les éléments qu’il n’a pas déjà eu l’occasion d’évoquer dans son podcast Procrastination). Merci infiniment à lui d’avoir pris ce temps et j’espère que l’interview vous plaira !

 


 

What about a dragon ?

 

Bonjour Lionel Davoust !

 

Y’a-t-il vraiment besoin de vous présenter ? Vous êtes l’auteur de la trilogie Léviathan mais aussi le créateur de l’univers d’Evanégyre qui se décline à travers de nombreux romans aux ambiances diverses et envoûtantes. Votre dernier opus, La Messagère du Ciel, est sorti récemment et ouvre une saga de fantasy intitulée Les Dieux Sauvages.

 

En parallèle, vous composez, traduisez et animez un podcast ainsi qu’un blog de qualité qui fourmille de ressources pour les auteurs.

 

Merci donc d’avoir accepté de prendre le temps de répondre à nos questions dans le cadre de ce panorama des plumes de l’imaginaire !

 

Première question, je sais qu’elle est fréquemment posée en salon : est-ce que vous vivez de votre plume ?

 

Lionel Davoust

 

D’abord, c’est avec plaisir, et merci pour cette présentation élogieuse !

 

Vivre de ma plume : la réponse dépend de ce qu’on entend par là. Si c’est au sens strict – uniquement de la création littéraire stricte – alors la réponse serait… plutôt pas. Au sens large – toutes mes activités autour de la création, l’écriture, mais aussi quelques conférences, la traduction, etc. – alors oui, c’est le cas.

 

WAAD

 

Est-ce que vous avez l’impression que c’est devenu plus dur ces dernières années ? Pour quelles raisons selon vous ?

 

Lionel Davoust

 

De mon point de vue très personnel, non, parce que je fais de plus en plus de choses et que cela m’ouvre des portes toujours plus intéressantes (et rémunératrices, aussi). Ça compense donc une certaine dégradation de la situation, qui est réelle. Il y a plein de facteurs en jeu. L’édition s’est puissamment contractée depuis vingt à quarante ans – quand j’entends mes aînés dire qu’ils vendaient régulièrement à 50 000 exemplaires dans les années 1970, on voit bien le problème : la diffusion a été divisée d’un facteur dix à vingt. (Les raisons de ce phénomène relèvent d’une discussion encore plus vaste…) Mais cela touche tout le milieu du livre, pas seulement l’imaginaire, bien sûr. On a aussi vu – et là aussi, cela touche toute la culture, quel que soit le média – les écarts se creuser de manière effarante entre les têtes d’affiche et la « mid-list » (les créateurs qui ne sont pas des vedettes mais ont un public nombreux et fidèle). L’accélération de la production entraîne mécaniquement qu’il est plus difficile pour un livre ou un auteur de trouver son public car tout doit se faire de plus en plus vite – aujourd’hui, un livre reste en présentation sur l’étal d’un libraire un mois, rarement davantage. Établir et construire une carrière sur la durée, sur le fond, nécessite donc beaucoup de ténacité dans ses conditions et de foi de la part de l’auteur, et beaucoup de confiance et de soutien de la part d’un éditeur qui croit à son poulain coûte que coûte. On vit dans une culture de blockbusters, de coups éditoriaux, de projets « choc » : soit ça cartonne, soit on passe à autre chose. Par chance, dans l’imaginaire français, on est encore assez épargné par ce phénomène, car il reste beaucoup de structures éditoriales indépendantes artisanales qui travaillent sur la durée, et pas pour contenter des investisseurs sur un bilan à la fin de l’année fiscale.

 

WAAD

 

Récemment, on entend beaucoup parler du syndrome de l’imposteur. Pour résumer, il s’agit du sentiment d’illégitimité que peut avoir un artiste vis-à-vis de ses pairs et de son art lui-même. Est-ce que ça vous parle ?

 

Lionel Davoust

 

Grave.

 

Je joue ma vie sur tous mes bouquins, à un point que c’en est ridicule. À chaque fois, je me dis que c’est à ce livre-là qu’on va s’apercevoir que je suis un faisan, que j’ai simplement eu de la chance jusqu’ici et que je n’ai bénéficié que d’heureuses coïncidences. Mais la bonne nouvelle, c’est que ça touche quasiment tout le monde. Et vu que c’est structurel, plus le temps passe et plus je trouve que ce syndrome est un signe de santé mentale pour un auteur. On fait déjà un travail qui exige une certaine quantité d’égo (« je vais rester enfermé pendant des mois pour écrire un truc en faisant le pari que ça va intéresser des gens »), alors heureusement qu’on doute un peu, quand même. À titre personnel, je trouve qu’il existe peu de choses aussi insupportables qu’un auteur orgueilleux. Alors, au fil des années, j’apprends à embrasser mon syndrome de l’imposteur et à lâcher prise. Je mets tout mon cœur et ma compétence dans ce que je fais, et, bien sûr, on ne se souviendra pas de moi dans un siècle, et, bien sûr, je pourrais toujours faire mieux demain, dans un an, dans dix ans ; mais je suis moi aujourd’hui et si j’ai besoin de franchir ces difficultés aujourd’hui pour, c’est en découvrir de nouvelles demain. C’est sans fin, c’est l’apprentissage, c’est l’art et c’est la vie. Pour moi, c’est la vraie récompense de ce chemin.

 

Sinon, on peut boire, aussi, mais c’est pas recommandé.

 

WAAD

 

Qu’est-ce que c’est un auteur pour vous ? Et qu’est-ce qu’il faut pour être professionnel ?

 

Lionel Davoust

 

Argh, le débat qui dégénère en shitstorm à chaque fois qu’on le pose – c’est quoi, un pro…

 

Un auteur, pour moi, c’est quelqu’un qui écrit. Qui le fait avec cœur et une certaine régularité, bref, en le prenant au sérieux, pas « je vais glander au Starbucks avec mon MacBook en expliquant à toutes les jolies filles comment je vais révolutionner le théâtre contemporain en écrivant une ligne les jours de grand vent ». Ça n’a donc rien à voir, incidemment, avec la publication. Je trouve que l’activité créatrice doit toujours s’accompagner d’un certain silence quant au processus et aux ambitions : c’est une preuve d’humilité, une marque de concentration sur la tâche, et une tactique pour s’éviter d’avoir l’air d’un crétin quand les plans déraillent (car on parle de création et ils ont toujours tendance à le faire).

 

Un pro, c’est quelqu’un à qui un organe de presse demande ce que c’est un pro (na). Bon, plus sérieusement, un pro, pour moi, c’est quelqu’un qui, toujours avec cœur et sérieux, s’efforce de ne plus écrire seulement pour lui mais pour les autres, c’est-à-dire, avec l’objectif d’être compris et reçu par les gens qu’il aimerait toucher, et qui cherche toujours à faire mieux ce qu’il fait. Il y a donc une composante artisanale qui vient se rajouter à la notion d’auteur ; un pro, c’est quelqu’un qui fait de l’écriture son métier, dans tous les sens du terme, avec ce que cela implique de dimensions supplémentaires comme par exemple, la connaissance des mécanismes économiques du milieu. Cela ne s’acquiert donc pas avec un best-seller, mais au contraire sur la durée, en montrant fiabilité, endurance et maturité dans l’exercice de l’activité au contact de la réalité.

 

WAAD

 

En ce moment, il y a en France, et un peu partout en Europe, un vrai mouvement de fond pour une meilleure reconnaissance de l’importance des auteurs dans le milieu du livre (pétition du SELF, développement de la Charte des auteurs jeunesse, etc.), est-ce que vous suivez ces mouvements / vous reconnaissez dans ces revendications / en êtes éloignés ?

 

Lionel Davoust

 

Cela dépend desquels ; tous n’ont pas la même stratégie / optique / expression… Et si je ne suis pas d’accord avec tout ce qui se fait, je trouve toujours intéressant que cela existe, que ces dialogues se tiennent. À titre très personnel, je n’aime pas être membre de quoi que ce soit parce que je ne veux pas me retrouver à devoir adhérer sans condition à des politiques décidées par les structures parentes. Il m’arrive donc de donner l’équivalent d’une cotisation à une structure pour soutenir leurs initiatives mais en demandant expressément à ne *pas* en être membre, même si cela me prive des avantages afférents, parce que je considère l’action nécessaire.

 

Mais peu importe mon petit cas. De façon générale, je pense que ces mouvements sont très importants pour faire avancer les discussions sur la condition des auteurs et constituent peut-être le seul contrepouvoir du domaine. Non pas que les éditeurs soient de grands méchants loups décidés à saigner les gentils auteurs, mais c’est un mécanisme naturel pour un acteur d’asseoir sa position s’il n’y a personne pour s’exprimer en face. Donc, c’est très bien qu’il y ait des structures pour fournir d’autres points de vue et établir un dialogue et des négociations, à condition qu’on reste dans l’intelligence de part et d’autre, qu’on s’assure de bien rester dans les sujets dont on parle et qu’on essaie de tous avancer ensemble. Quand la Charte établit des tarifs pour les interventions, par exemple, c’est un outil vital et globalement accepté qui rend un immense service à toute la profession, et à moi aussi, même si je ne suis pas auteur jeunesse.

 

WAAD

 

Est-ce que vous vivez certaines situations comme des injustices en tant qu’auteur ?

 

Lionel Davoust

 

Concernant l’économie du livre de manière générale, non. Quand je signe un contrat, je ne suis plus un créateur qui a mis son sang et ses tripes sur la page, je suis un homme d’affaires. Je suis libre de signer, de négocier, de refuser des conditions défavorables à mon projet ou à ma survie, et toute la chaîne du livre se compose de partenaires économiques avec qui nous travaillons ensemble. Si les conditions ne me vont pas, je ne signe pas (et c’est là que les structures dont nous avons parlé à la question précédente jouent un rôle de premier plan pour faire progresser les dialogues et les usages au niveau de l’interprofession).

 

En revanche, ce que fait l’État unilatéralement et par bêtise, là, clairement oui, parce que l’expression de cette liberté est beaucoup moins tangible. On subit. Quand l’État lance la gabegie ReLIRE où les auteurs se trouvent expropriés de leurs propres œuvres (merci Yal, Sara, Franck et les autres d’avoir réussi à casser cette horreur) ; quand vos cotisations retraite doublent d’un seul coup ; quand on vote une hausse de la CSG sans compensation (heureusement, il semble que ça va changer)… On se sent la cinquième roue d’un carrosse qui n’en comporte déjà que trois, alors que l’édition, et donc les auteurs, représentent un poids économique considérable.

 

Hors du sujet de la condition des auteurs, deux autres situations me semblent injustes et m’agacent au plus haut point. D’abord, le snobisme encore pas mal implanté envers les littératures de l’imaginaire, alors que c’est, qu’on le veuille ou non, la culture dominante aujourd’hui. Quand de vieux barbons d’université sortent que la SF n’est pas de la vraie littérature alors que 1984 fait partie des oeuvres les plus importantes du siècle dernier et qu’elle est la seule fiction à pouvoir décoder notre avenir proche voire notre présent, une telle bêtise me fait rêver de révoquer des doctorats. Une autre situation face à laquelle nous sommes impuissants est le piratage. Lire un livre sans le payer représente un manque à gagner réel pour l’industrie et pour le créateur. Cela ne rend service à personne. Et le plus irritant, c’est que vous n’avez pas le droit de le dire, vous êtes censé être content d’être piraté. Ben… non. Pas du tout. Ça ne rend pas DU TOUT service. Arrêtez de nous rendre ce service, s’il vous plaît.

 

WAAD

 

Si on s’intéresse maintenant à l’écriture proprement dite, est-ce que vous suivez un processus d’écriture particulier quand vous créez ? Des horaires fixes, une cadence, quelque chose comme ça ? Vous y répondez partiellement sur votre blog, mais c’est pour ceux qui ne suivent pas au fond.

 

Lionel Davoust

 

Ouais, je prendrai les carnets de correspondance à la sortie, hein…

 

Oui, je m’astreins à une certaine discipline. Parce que je suis une grosse feignasse et que c’est le seul moyen pour mon cerveau hyperactif de savoir quand il peut bosser et quand il peut enchaîner les Vine de chatons sur YouTube. Avant, je m’astreignais à un quota journalier, et ça m’a beaucoup aidé à dévier la procrastination, mais j’ai assez d’expérience maintenant pour ne plus trop avoir ce problème, alors je m’astreins davantage à un quota de temps et d’énergie investis plutôt que de pages écrites. L’écriture n’est pas un processus nécessairement régulier ; j’ai de grosses phases de préparation et de grosses phases d’écriture qui alternent régulièrement. J’ai besoin de périodes d’incubation active ; du coup, je m’oblige à passer en moyenne 5h par jour (sur une journée-type de 8 de travail) à plancher sérieusement sur mon bouquin, mais sans réelle obligation de résultat en terme de production. Cela me libère bien davantage et je suis paradoxalement plus productif, mais c’est le cas parce que je commence à bien me connaître et je n’aurais pas pu travailler ainsi il y a cinq ans. Ah, et aussi, je touche mon manuscrit tous les jours en période de rédaction. Aucune exception, même le week-end, je m’astreins à écrire au moins une phrase, cela me permet de conserver le lien avec mon projet, mon univers, de ne jamais trop m’en éloigner et cela abaisse énormément l’appréhension quand il s’agit de reprendre le lundi suivant.

 

WAAD

 

Souvent on parle d’architectes, c’est-à-dire d’auteurs qui planifient leur roman de A à Z avant d’écrire, de jardiniers, qui laissent vivre leurs personnages, ou d’employés polyvalents (OK, celui-là est de moi), comment vous vous positionnez par rapport à cette question de la plus haute importance ?

 

Lionel Davoust

 

Architecte ascendant jardinier premier décan (avec Pluton dans le carré de Saturne). Je planifie et je crée beaucoup à l’avance, univers, personnages, scénario – je sais toujours comment une histoire se finit avant d’écrire une seule ligne, même pour une série – mais je me ménage des espaces de liberté, des « jokers » dans le récit. C’est dû au fait qu’une histoire, à l’écriture, prend toujours des détours, des chemins imprévus, et il y a aussi des choses qui ne peuvent se fixer qu’en accomplissant le chemin avec les personnages. Certaines décisions, certains fils narratifs même, ne peuvent être prévus à l’avance car il faut la mécanique et l’élan du récit proprement dit pour que cela se mette en place de manière dynamique. Une chose est sûre, mes intentions narratives (l’ambiance, l’éventuel propos…) sont toujours parfaitement claires au début. C’est le compas que je suis, et l’histoire suit ensuite les méandres qui s’imposent dans l’instant ; si ma direction a été bien établie, que je la suis naturellement, alors je me fais confiance, je retomberai sur mes pieds au final.

 

WAAD

 

L’univers d’Evanégyre représente un investissement en temps et en énergie assez incroyable. Est-ce que c’est une pression supplémentaire d’écrire chaque roman comme partie d’un tout ?

 

Lionel Davoust

 

Merci ! Alors, pas tellement. Pour Évanégyre, j’ai le même processus que je viens d’évoquer, mais à une échelle beaucoup plus vaste : j’ai mes intentions très « macroscopiques » concernant l’univers, ses ultimes secrets, ses grandes périodes, ses pivots historiques, et en restant fidèle à cela, une cohérence « organique » s’installe dont, parfois, je n’ai même pas totalement conscience moi-même. (J’ai eu des surprises assez vertigineuses quand des récits anciens m’ont révélé, des années plus tard, exactement les indices inconscients dont j’avais besoin pour venir greffer une nouvelle histoire sur un événement donné alors que je ne pensais pas forcément y revenir.) Le seul point qui me demande un peu de travail est de m’assurer que je reste fidèle à mon principe d’indépendance totale entre les récits, c’est-à-dire qu’il ne faut pas spoiler, divulgâcher, le fond réel de ce qui se passe après ou avant. Je pars du principe que chaque livre peut être le tout premier que le lecteur découvre, mais aussi qu’il a peut-être tout lu avec attention, alors je veux prendre soin de satisfaire tout le monde, les nouveaux arrivants comme les passionnés. Pour ça, il n’y a toujours qu’une seule réponse, c’est s’efforcer d’écrire la meilleure histoire possible dans le cadre où l’on se trouve.

 

WAAD

 

Pour terminer, et avant de vous remercier, avez-vous des choses à ajouter ou dont vous voudriez parler ? Vous corrigez actuellement le tome 2 je crois ?

 

Lionel Davoust

 

Yep ! J’aurai probablement fini ou peu s’en faut quand l’entretien sera paru. Le Verrou du Fleuve est le tome 2 de la série « Les Dieux sauvages », initiée en mai 2017 par La Messagère du Ciel (qui a reçu le prix Elbakin.net du meilleur roman de fantasy français, ce qui me fait un immense plaisir). Tous les funestes présages et les complots du tome 1 se sont cristallisés et on attaque le 2 avec un royaume de Rhovelle en terrible danger, et les armes vont prendre temporairement la place de la politique… Ensuite, je travaillerai sur les deux volumes suivants, La Fureur de la Terre et L’Héritage de l’Empire (puisque la série comptera 4 gros volumes et non 3, au bout du compte), ce qui va m’emmener au moins un an et demi plus loin !

 

Sinon, j’aimerais demander, indeed: what about a dragon?

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